L'institution
du duel semble s'être introduit successivement dans les habitudes des
peuples barbares et l'on sait que l'usage de ce combat fut consacré
chez les Bourguignons dans une loi connue sous le nom de loi gombette
(du nom de son auteur Gondebaud, roi des Bourguignons ). Il faut noter
qu'à quelques rares
exceptions près, la loi salique n'admettait ni la preuve négative par
serment ni le combat judiciaire. Cependant, ce recours à la violence
l'emporta sur cette loi qui tomba dans l'oubli et le combat judiciaire
s'établit. Cette
loi avait pour origine une coutume qui se pratiquait chez les tributs
nordiques et consistait à venger les homicides et les injures par la
voie des armes. La famille du mort demandait raison aux parents de
celui qui avait commis le crime et si aucun arrangement n'était trouvé
les deux familles rentraient en guerre. Cette coutume se répandit dans
les Gaules et nos rois ne purent arrêter la folie de ces guerres
privées qui se faisait sans leur permission.
Au
IXe siècle cette pratique s'était profondément ancrée
et
Charlemagne
(768 - 814) crut devoir la tolérer par une disposition expresse qui
obligeait le coupable à payer promptement au parent du défunt une
amende et exigeait de ces derniers en retour d'accepter la paix de
celui qui la demandait. Cette loi peu sévère n'eut aucun effet et
l'église éleva de vives protestations sur ce qui était devenu une
tuerie légale. Elle sollicita
auprès de son fils Louis Ier- le Débonnaire
(814 - 840) son abolition et le retour à la loi salique. Devant
le peu de volonté ou d'impuissance des monarques confrontés aux luttes
intestines du pouvoir, à la puissante montée de la dynastie des
Robertiens, aux invasions vikings aux au siège des Normands et autres,
l'église décida de combattre cette coutume sanguinaire. Lors du
concile tenu à Valence en 855 sous le pontificat de Léon IV (847 - 855)
elle établit ses peines. Un canon déclare assassin
celui qui au cours de cet affrontement tue son adversaire et prive de
sépulture ecclésiastique le mort considéré comme s'étant suicidé. Ces
résolutions n'empêchèrent pas cette pratique de s'étendre et de
s'imposer jusqu'aux juges qui pouvaient être appelés en champ clos. Les
femmes soutenaient leurs querelles par le moyen de champions. La
tumultueuse fin de règne des Carolingiens (751 - 987) et la délicate
ascension des Capétiens ne permirent pas d'y mettre un terme et la
tolérance envers ces crimes entre particuliers devint en quelque sorte
une loi coutumière.
Au cours des décennies suivantes, plusieurs conciles eurent lieu et
les évêques à défaut de
stopper cette folie, essayèrent d'imposer des trêves les jours de
dimanche et de fêtes religieuses, puis ces trêves furent élargies de
l'avent jusqu'à l'Épiphanie et de Pâques jusqu'à l'Ascension puis
jusqu'à Pentecôte. Ces trêves durant lesquelles toutes vengeances et
toutes hostilités cessaient furent appelées les trêves de Dieu.
Plusieurs grands seigneurs s'y conformèrent et ce que les évêques
avaient ordonné à ce sujet à leurs diocésains fut confirmé par le pape
Urbain II au concile de Clermont en 1095. Avec
le temps, la raison commença à reprendre sa place et les duels ne
furent permis que pour une dette de cinq sols au moins.
Ces trêves n'empêchaient pas les guerres privées de recommencer. De
son côté, le pouvoir
souverain luttait à la hauteur de sa puissance. Le premier de nos rois
qui ait cherché à abolir cette coutume barbare fut Philippe II Auguste (1180 - 1223). Il
établit dans une ordonnance, une autre sorte de trêve qui fut appelée la quarantaine. Cette mesure
consistait à interdire à compter du jour de l'offense et pendant un
délai de
quarante jours les voies de fait. Ce
délai avait été institué pour permettre aux parties de s'informer sur
les faits et trouver une solution honorable. Les parents, les amis,
l'offensé ne pouvaient appeler vengeance d'une injure qu'après quarante
jours écoulés. Le malfaiteur devait cependant être saisi immédiatement
et mis en prison. Si les parents d'un offensé prenaient fait et cause
avant l'expiration des quarante jours et mettaient à exécution leur
vengeance, ils étaient considérés comme traîtres et punis de mort.
Cependant, l'époque ne s'y prêtait guère. Le désordre social,
les habitudes chères à une noblesse belliqueuse et les interminables
guerres privées que se faisaient les seigneurs entre eux grevèrent les
ambitions de ce prince. Certes, cette trêve eut plus de succès que les
dispositions antérieures, mais elle n'était pas toujours observée.
Elle fut néanmoins confirmée par Louis IX - Saint Louis
(1226 - 1270) en 1145 puis par Philippe III - le Hardi
(1270 - 1285) en 1277. Philippe
IV - le Bel (1285
-
1314) continua l'œuvre réformatrice de son père, mais la noblesse
considérait ce droit comma attaché à leurs privilèges. Dans son
ordonnance de
1296, Philippe
IV se résigna à interdire les combats judiciaires et les guerres
privées pendant tout le temps que durerait
la sienne. L'ordonnance du 9 janvier 1303 donnée à Toulouse
renouvela les mêmes défenses.
Cette pratique absurde fit la part belle aux malfaiteurs de toutes
sortes qui pouvaient commettre leurs méfaits sans témoins. La
criminalité était si importante qu'en 1306, Philippe le Bel accorda
dans une ordonnance le retour aux gages de bataille en cas de félonie,
trahison, viol et incendie. À cette époque, il n'y avait ordinairement
que les contrats de personnes riches et qualifiées qui étaient rédigés.
Les autres ne l'étaient pas à cause de l'illettrisme. Les
différends en matière civile se traitaient en ayant recours au serment
et sur la foi des témoins qui se portaient caution. En matière
criminelle
le démêlé se faisait de la même façon en faisant appel à des témoins ou
en apportant des preuves. Dans les deux cas si le doute persistait on
avait recours au duel judiciaire, car l'on croyait beaucoup que Dieu
intervenait dans ces combats pour la manifestation de la vérité.
Philippe V - le Long (1316 - 1322) en 1319 lutta à son tour contre ce
fléau. Pour parvenir à son abolition, la couronne attribua
exclusivement au
Parlement de Paris le droit d'ordonner le combat judiciaire dans toutes
les parties du
royaume, sans distinction. L'application de cette réforme se fit
progressivement à mesure que la juridiction du roi empiétait sur celle
des seigneurs. La pratique du combat judiciaire s'affaiblissait de jour
en jour et Jean II - le bon
(1350 - 1364) en prescrivant en 1353 sa stricte observation sous peine
d'être
poursuivi extraordinairement mit presque fin à cet abus invétéré des
guerres privées.
La justice ordinaire prenant une place prépondérante dans la résolution des conflits on vit apparaître le duel qui ne se distinguait du combat judiciaire qu'en adressant au roi une requête en vue d'obtenir l'autorisation de combattre en champ clos. L'autorisation était signifiée par un héraut d'armes, au nom du Roi. Le duel n'était permis qu'aux nobles, et au roi seul appartenait le droit d'autoriser les combats. François Ier - le Père et Restaurateur des Lettres (1515 - 1547) avait fortement limité cette pratique, mais sous le règne de son fils Henri II (1547 - 1559) commença une nouvelle phase dans l'histoire du duel. Quand on ne put plus obtenir l'autorisation royale, on s'en passa, et les duels se multiplièrent d'une manière effrayante. Un abus aussi monstrueux ne pouvait être toléré par l'Église, qui avait si énergiquement protesté contre le combat judiciaire. Le concile de Trente par un canon de l'année 1563 fulmina l'excommunication non seulement contre les combattants, mais contre les parrains (témoins), et priva de la sépulture chrétienne ceux qui trouvaient la mort dans le combat.
Le pouvoir civil tenta de s'associer à l'Église dans la voie de la répression, mais la loi demeurait impuissante face à l'honneur individuel que l'État lui-même encourageait chez ses nobles. Était-il possible d'espérer triompher d'habitudes profondément ancrées dans les moeurs de la noblesse ? Les lois de l'honneur, les motifs pour lesquels on doit se trouver offensé, la manière d'obtenir une réparation, la marche à suivre, les privilèges de l'offensé, les devoirs des seconds et autres points de la matière furent exposés dans d'innombrables volumes et discutés avec toute la subtilité du moyen âge. Il ne fallait pas s'étonner du résultat.
En
1560, lorsque les États généraux réunis à Orléans présentent leurs
doléances et demandent une répression sans faille des duels, la France
était devenue un champ de tuerie. Le roi Charles IX (1560 - 1574) y fit
droit par une ordonnance rendue à Marchois le 10 février 1566 (en même
temps que
la célèbre ordonnance de Moulins, mais par un acte séparé) et dont
l'honneur revient au chancelier de L'Hôpital. Cette ordonnance défend
aux gentilshommes de vider leurs
querelles par des combats. Elle
leur enjoint de soumettre les démentis au gouverneur de la province, au
connétable et aux maréchaux de France qui, seuls, décideront de la
valeur
du démenti. Si ce denier est déclaré nul, celui qui l'aura
donné sera tenu d'en faire amende honorable à celui qui l'aura reçu.
Cette disposition fut confirmée par l'article 194 de l'ordonnance de
Blois de 1579 déclarant dans son article 278 criminel de lèse-majesté
les gentilshommes qui pratiqueraient le duel. En 1580 les
témoins
seront à leurs tours justiciables sous le nom de second.
Henri IV - le Grand (1589 - 1610)
Le
mal, aggravé par les guerres d'Italie et les troubles de la Ligue,
joint au relâchement des liens moraux et religieux était arrivé à son
comble au moment de l'avènement de Henri IV.
Secondé par le Parlement, il déploya une grande rigueur contre les
duellistes. Cependant durant les vingt années de son règne, plusieurs
milliers de duellistes périrent et des milliers d'autres délinquants
obtinrent leur grâce.
Dans un édit d'avril 16021 Henri IV interdisait une nouvelle fois les duels et prononçait la peine de crime de lèse-majesté, c'est-à-dire la mort et la confiscation totale des biens contre les duellistes et leurs seconds et ordonnait à la partie offensée d'adresser sa plainte au gouverneur de la province, au connétable et aux maréchaux de France pour obtenir la réparation de l'injure qu'elle avait subi. Cependant et malgré la clairvoyance de Sully, l'excessive sévérité de cet édit fut un frein à son application. Bientôt ces sanctions inapplicables furent remplacées par d'innombrables lettres de grâce qui créèrent un scandaleux état d'impunité. Face à l'inutilité de cette loi, le roi dut faire des concessions et toléra le duel dans des cas exceptionnels.
C'est dans cet esprit que Henri IV donna à Fontainebleau un nouvel édit en juin 1609 2 .Le combat ne pouvait être accordé que par le roi ou le tribunal des maréchaux de France. Les peines prononcées contre les duels non autorisés étaient modulées en fonction de la gravité des faits. Cette manière d'opérer porta ses fruits au point que la licence des duels fut supprimée. Henri IV intervint à maintes reprises pour éviter l'effusion de sang et la noblesse reconnaissant son caractère chevaleresque, sa bravoure et son côté paternel lui accorda toute son obéissance en ce domaine. À sa mort, la fureur des duels recommença et continua pendant la minorité de Louis XIII.
1
Édit d'avril 1602
pour la défense des duels (donné à Blois).
2 Édit du juin 1609 sur la prohibition et punition des querelles et duels (donné à Fontainebleau).
Louis XIII - Le Juste (1610 - 1643)
Louis XIII lutta à son tour contre ce fléau. Dans une déclaration du
1er juillet 16111,
il confirmait que l'édit de juin 1609 serait
observé dans toute sa rigueur. Deux ans plus tard, dans une seconde
déclaration du 18 janvier 16132,
il
confirmait les termes de l'édit de 1609 et n'entendait ne donner ni
grâce ni pardon aux contrevenants. Il ordonnait aux gentilshommes
qui se croiraient offensés de se pourvoir, dans le délai du mois,
par-devant le tribunal des maréchaux, passé ce délai, ils seraient
soumis à subir la juridiction des tribunaux ordinaires.
Les rigueurs
contenues dans l'édit de 1609 ayant parues insuffisantes, on les
aggrava
par lettre patente du 14 juillet 16173.
Plus rigoureux encore fut l'édit du mois d'août 16234
donné à Saint-Germain-en-Laye, cependant l'aggravation
des peines était loin de
porter ses fruits et l'augmentation des duels allait toujours en
croissant. Pourtant, les cours de Parlement qui jugeaient ces crimes
étaient impitoyables. Ainsi l'arrêt rendu le 24 avril 1624 par celle de
Paris à l'encontre des sieurs de Bouteville, comte de Pongibault et le
baron de Chantail pour s'être battus en duel le jour de Pâques. Étant
convaincu « de crime de
lèze-majesté, divine et humaine », ils furent déchus de leurs « privilèges de noblesse, déclarés ignobles,
roturiers et infâmes » et « condamnez
[à] estre pendus & étranglez à une potence croisée qui pour cet
effet [fut] dressée en la
Place de Gréve de cette Ville de Paris, leurs corps morts portez à
Montfaulcon
».
Pour marquer les esprits et décourager les futurs duellistes, la
cour ordonna qu'aux peines de déchéance et de mort il soit également
procédé à ruine de leurs biens. Ainsi, elle déclara « que
toutes leurs maisons en quelques Provinces Villes & lieux qu'ils
soient, [soient] démolies rasées & abbatuës & les foffez
comblez ». Et, afin que cet anéantissement physique et
matériel demeure dans les mémoires, la cour faisait « défenses
à toutes personnes de quelque qualité qu'ils soient d'y rétablir ny
édifier & que les arbres qui font plantez és enyirons seront coupez
par le milieu les troncs demeurans pour memoire de leur crime à
perpetuité & sera esdits lieux dressé & érigé un pilier de
pierre de taille & en iceluy apposé une lame de cuivre en laquelle
seront gravées & tranfcrites les causes de ladite démolition ».
Cette extrême sévérité ne fut pas pour autant dissuasive. Par édit
de février 16265,
le roi dut se résoudre à revenir à un système de sévérité
modérée et proportionnée à la gravité des circonstances, cependant on
s'accordait à appliquer la sévérité des anciennes ordonnances lorsque
l'atrocité des faits semblait mériter un châtiment exemplaire. Avec des
peines adoucies, le roi n'accorda plus aucune grâce. Richelieu le
persuada de se montrer intransigeant et d'appliquer pour l'exemple la
rigoureuse exécution des peines, mais Louis XIII, voulant faire preuve
de bienveillance à l'égard
de ses sujets, accorda l'absolution en quelques occasions à certains
nobles ayant contrevenu à ses édits. Ainsi, pour fêter la naissance de
son fils Louis ou pour témoigner sa reconnaissance envers sa noblesse
qui l'avait servie avec beaucoup de zèle et de fidélité dans ses
armées, il crut bon de leur accorder le pardon. Par ces actes de
clémence, Louis XIII espérait stimuler l'honneur de sa noblesse en
l'incitant à plus de retenue. Hélas, cette indulgence fut interprétér
comme un acte d'impunité et les combats redoublèrent d'intensité.
Devant l'échec de sa bienveillance, Louis XIII, dans une déclaration de
mai 16346,
dut revenir à la sévérité des lois antérieures et rappeler qu'elles
seraient « inviolablement observées
en tous leurs points et articles » et qu'il n'accorderait plus «
aucune Lettre de grâce &
d'abolition ».
Ainsi, malgré tous ces édits et arrêts qui furent publiés au cours de son règne, la fureur des duels était à son comble à l'avènement de Louis XIV.
1
Déclaration du 1er juillet 1611 portant
défense d'user d'appels, ny de
rencontres, suivant l'édit des duels de 1609 (donné à Paris).
2 Déclaration du 18 janvier 1613 sur les édits des duels, portant confirmation et augmentations d'iceux (donné à Paris).
3
Lettres patente du 14
juillet 1617 sur l'observation des édits, ordonnances et
déclarations faites sur la défense des duels avec ampliation.
4
Édit du mois d'août
1623
sur la défense des querelles, duels, appels et rencontres : portant
confirmation et augmentation des peines contenues aux édits,
déclarations et arrêts fait ci-devant le même sujet (donné à
Saint-Germain-en-Laye).
5
Édit de février 1626 sur le fait
des duels et rencontres (donné à Paris).
6 Déclaration de mai 1634 sur le fait des duels et rencontres (donné à Fontainebleau).
Louis XIV - Le Grand (1643 - 1715)
Les troubles pendant la minorité de Louis XIV ne furent pas de nature à diminuer les querelles, aussi évalue-t-on à quatre mille le nombre des gentilshommes qui périrent en combat singulier pendant les huit années que dura la régence d'Anne d'Autriche (de 1643 à 1651).
Si Louis XIV - Le Grand(1643
- 1715) ne réussit pas à interdire totalement cette folie,
il fut tout au moins le souverain qui la combattit avec une énergie et
un
succès qu'on n'avait point vus jusqu'alors. En qualité de Roi
Trés-Chrétien, il décida dès son avènement à la couronne de combattre
ce
fléau. Il demanda au conseil formé de la reine régente, sa mère, le duc
d'Orléans,son oncle, le prince de Condé, son cousin et
d'autres princes, ducs, pairs et officiers de la Couronne de tirer tous
les enseignements des édits et déclarations faits sur le sujet par ses
prédécesseurs. Les
mesures qui avaient contribué à enrayer ou du moins freiner cette
folie furent retenues et améliorées. À la suite de cette réflexion, il
abrogea tous les textes précédents pour établir un nouvel édit qui fut
publié au mois de juin 16431.
L'analyse et l'élaboration de ce nouvel
édit ayant été menées par les plus hauts dignitaires du royaume, Louis
XIV leur interdit, « sur peine de
nous déplaire » d'y déroger en sollicitant sa clémence sous
quelques prétextes que ce fut.
Les différends devaient être tranchés par les juges, les outrages
qui ne pouvaient être réparés qu'en croisant le fer étaient portés à la
connaissance des maréchaux de France ou des gouverneurs des provinces.
Avec l'article 31 de cet édit, le roi ôtait aux prévôts des maréchaux
la connaissance de ce crime, mais il donnait à cette occasion aux
maréchaux « toute
autorité de décider & juger absolument tous differends concernans
le point d'honneur & réparation d'offense soit qu'ils soient
arrivez à nôtre Cour ou en quelque lieu de nos Royaumes que ce puisse
estre ». Comprenant que l'on ne
pouvait pas étendre les peines de roture ou d'infamie à la postérité
des délinquants comme en avaient décidé ses prédécesseurs, Louis XIV
décida que les dégradations seraient personnelles. En effet, la famille
du délinquant ne pouvait être tenue coupable de son crime et ne devait
point avoir part à la punition. Les héritiers du duelliste mort dans le
combat pouvaient se porter partie civile et ainsi éviter la
confiscation en désavouant le meurtrier.
Le caractère équilibré qu'avait voulu donner Louis XIV aux peines
prescrites dans son édit de juin 1643 fut une nouvelle fois
perçu comme une espèce d'indulgence de sorte que les duels prirent une
plus grande ampleur. L'autorité royale était bravée en raison du jeune
âge de Louis XIV et celle des maréchaux était ignorait. Dans une
déclaration donnée à Paris le 13 mars 16462,
le roi estima nécessaire de rajouter quelques règlements. Désormais,
les
procureurs généraux des cours pouvaient ouvrir une instruction pour
présomption de duel à l'encontre de ceux que la notoriété estimait
coupables. Ceux qui étaient soupçonnés de s'être battus de la sorte
devaient, sur réquisition des procureurs, se rendre aux prisons des
parlements pour répondre de l'accusation et à défaut se s'y rendre ils
étaient considérés coupables et condamnés aux peines portées dans
l'édit. L'autorité et le rôle des maréchaux dans la résolution des
différends étaient réaffirmés. Ils avaient désormais la possibilité de
mettre en prison ceux qui refusaient de se présenter à leur convocation
et ceux qui n'acceptaient pas leurs décisions.
Parvenu à sa majorité, Louis XIV revint sur le fléau des duels qui
décimait sa noblesse (Louis XIV est alors âgé de treize ans). Dans un
édit donné à Paris au mois de septembre
16513,
il exhorta une nouvelle fois ses sujets à la paix et la concorde.
Pour prévenir tout différents et duels qui pourraient s'en suivre, il
ordonna aux maréchaux et gouverneurs des provinces ce commettre, en
chacun des bailliages et sénéchaussées, un ou plusieurs gentilshommes
de
qualité et de capacité pour recevoir les arguments de chaque partie
dans les conflits du point d'honneur. Le roi accordait à ces
gentilshommes
le droit de convoquer les parties avec la possibilité de recourir
au besoin à la force en sollicitant le prévôt des maréchaux* et sa
compagnie. À l'issue des
séances, si les parties ne s'étaient pas accordées le dossier était
renvoyé devant les maréchaux ou les gouverneurs qui tranchaient
définitivement le litige.
* C'est à cette occasion que Louis XIV rétablit le droit pour les prévôts des maréchaux d'avoir la connaissance de ce crime (art. 18) qu'il leur avait supprimé dans son édit de juin 1643.
1
Édit de juin 1643
sur le prohibition et la punition des duels (donné à Paris).
2 Déclaration du 13 mars 1646 sur la défense des querelles, duels, appels et rencontres : portant confirmation et augmentation des peines contenues aux édits, déclarations et arrêts fait ci-devant le même sujet (donné à Paris).
3
Édit de septembre 1651
contre les duels et rencontres (donné à Paris).
Louis XIV - Le Grand (1643 - 1715)
Henri IV et Louis XIII avaient attribué aux maréchaux de France la connaissance des différends liés au point d'honneur et le droit de les juger par jugement souverain. Pour faire suite à cette décision, Louis XIV, dans une déclaration de mai 16531, réaffirma le rôle prépondérant des maréchaux et les pouvoirs qui leur avaient été attribués par son père et son grand-père. Dans ce texte, qui explicitait certains articles de son édit précédent, le roi ordonna aux maréchaux d'élaborer un règlement précis pour juger tous les différends liés au point d'honneur. Ce règlement, par sa sagesse, devait permettre, à l'encontre de l'agresseur, de prononcer une peine proportionnelle à l'injure causée et donner diverses satisfactions et réparations d'honneur à l'offensé de sorte que la querelle soit définitivement éteinte. Les maréchaux dressaient le 22 août suivant ce règlement2 que Louis XIV établissait comme loi par l'Édit du même jour.
Par édit du mois d'août 16793, appelé Édit des Duels, Louis XIV fixa définitivement la législation sur cette matière. Il attribuait aux maréchaux de France en leur qualité de juges naturels de la noblesse et de l'armée et privativement à tout autre juge la connaissance de tous les différends entre gentilshommes ou ceux qui font profession des armes dans le royaume et sont victimes de propos outrageants ou autres causes touchant le point d'honneur. Ce tribunal, déjà institué pour connaître des faits de guerre et des différends entre gentilshommes touchant le service militaire, joignit à ces attributions la connaissance des différends qui surviennent entre gentilshommes à l'occasion de la chasse, des droits honorifiques des églises et autres prééminences des fiefs et seigneuries lorsque le différend se trouve mêlé avec le Point d'honneur.
Le droit de convoquer le tribunal des maréchaux appartenait au maréchal-doyen. Ses
pairs se réunissaient toujours à son domicile, au jour
et à l'heure qu'il lui convenait d'indiquer. Dans l'intervalle de ses
séances, le doyen des maréchaux avait le droit de prononcer sur toute
rixe, querelle ou rencontre ; de délivrer des mandats d'arrêt contre
les agresseurs et enfin contre tous contrevenants aux édits et
ordonnances.
À peine informés qu'une querelle s'était élevée entre deux gentilshommes, le doyen des maréchaux, ou le gouverneur de la province, ou le lieutenant-général, envoyait auprès de chacun deux un garde de la connétablie pour lui intimer de s'abstenir de toutes voies de fait ou rencontre, avant d'avoir répondu à l'assignation qui leur était faite de comparaître devant eux. L'affaire était examinée et décidée dès le lendemain. Le moindre retard eut été en effet préjudiciable au milieu des passions surexcitées de cette noblesse française, susceptible et habituée à porter jusqu'à l'exagération les valeurs de l'honneur.
Pour instruire les affaires, les maréchaux de France étaient assistés par un rapporteur. Ce magistrat était choisi, de droit, parmi les maîtres des requêtes au parlement de Paris. Les maréchaux étaient suppléés par les gouverneurs des provinces et subsidiairement par les lieutenants généraux. Des délégués leur rendaient compte dans chaque bailliage ou sénéchaussée.
La juridiction de ce tribunal s'étendait sur tous les gentilshommes et militaires, même étrangers. Les veuves avaient également le droit de porter plainte devant le tribunal des maréchaux. Les affaires mixtes, en raison de la qualité des parties, étaient renvoyées à la justice ordinaire. La saisie du tribunal des maréchaux se faisait par dépôt d'une plainte, mais il pouvait également informer d'office, quand il avait connaissance d'un crime de quelque manière que ce fût.
Les maréchaux pouvaient employer les voies coercitives pour citer les gentilshommes à leur barre. En cas de désobéissance, les revenus des biens des délinquants étaient versés aux hôpitaux pendant toute la durée de leur absence. Les maréchaux avaient toute latitude pour apaiser les différends. En cas d'insuccès, ils devenaient juges et appliquaient des peines suivant la nature de l'offense. Le 22 août 1679, parut un nouveau règlement confirmant les dispositions du premier et apportant quelles modifications pour être en accord avec son temps.
1
Déclaration de mai
1653 contre les duels (donné à Paris).
2
Règlement du 22 août
1653 des maréchaux de France touchant les opérations des
offenses entre gentilshommes pour l'exécution de l'édit contre les
duels.
3
Édit du mois d'août 1679 portant
règlement général sur les duels (donné à Saint-Germai-en-Laye).
Louis XIV - Le Grand (1643 - 1715)
L'Édit
des Duels donnait pouvoir aux maréchaux à commettre dans chaque
bailliage ou
sénéchaussée un ou plusieurs gentilshommes pour recevoir les plaintes
concernant le point d'honneur. Les affaires dont ils étaient
destinataires étaient ensuite renvoyées devant les maréchaux de France
ou les gouverneurs et lieutenants généraux des provinces. Établies par
simple commission, ces charges furent ensuite créées en titre d'office
par Édit du mois de mars 16931
pour les bailliages et sénéchaussées sous
l'appellation de lieutenant de
messieurs les maréchaux de France. Ils étaient assistés d'un
archer de la Connétablie et Maréchaussée de France créé en titre
d'office.
L'établissement de ces officiers porta ses fruits et Louis XIV dans un Édit d'octobre 1702 donné à Fontainebleau, étendit cette disposition aux Duchés Pairies, car les ducs et pairs ne se croyaient pas soumis aux édits et déclarations du roi. Le nombre d'affaires à traiter ne cessant d'augmenter, les lieutenants des maréchaux de France furent bien vite submergés et ne purent faire face seuls à la situation. Dans un premier temps, ils eurent recours aux prévôts des maréchaux et à leurs greffiers bien que cette tâche ne leur fût point attribuée. Devant la difficulté de mener à bien ces délicates procédures, le roi pour augmenter la justice des maréchaux de France et soulager leurs lieutenants créa par Édit d'octobre 1704, un office de conseiller du roi rapporteur du Point d'honneur auprès de chaque lieutenant des maréchaux de France. En l'absence du lieutenant, ce magistrat pouvait exercer tous les pouvoirs attribués aux lieutenants. Assisté d'un secrétaire-greffier et d'un archer-garde de la connétablie et maréchaussée de France, il avait pour mission d'instruire toutes les affaires relevant de l'Édit de 1679. Pour traiter plus rapidement les différends et prendre en compte l'étendue du ressort de ces officiers, Louis XIV dans un Édit de novembre 17072 créa dans chaque bailliage, sénéchaussée et Duché Pairies un deuxième lieutenant avec un secrétaire-greffier et un archer-garde de la connétablie et maréchaussée de France.
Louis XV - Le bien-aimé (1715 - 1774)
Avec l'édit de mars 1720 Louis XV supprima toutes les anciennes maréchaussées pour ne créer qu'un corps composé de 30 compagnies correspondant aux 30 généralités du royaume. Chaque compagnie était commandée par un officier supérieur le prévôt général secondé par des lieutenants. Relevant directement de leur autorité, les maréchaux de France attachaient une grande importance à ce que la concorde règne entre les officiers des maréchaussées et les lieutenants des maréchaux. Ainsi, immédiatement après son installation, le lieutenant des maréchaux devait se présenter au prévôt général de la maréchaussée du département dans lequel il avait été nommé. En retour, le prévôt général le faisait reconnaître par les brigades placées sous ses ordres. Cette première démarche, qui décidait bien souvent de la bonne intelligence qui devait s'imposer entre ces hommes, fit l'objet d'un règlement que les maréchaux publièrent le 10 novembre 17233. Cette bonne entente était d'autant plus nécessaire que les lieutenants des maréchaux pouvaient demander l'assistance des prévôts généraux. Ces derniers ne devaient sous aucun prétexte se dispenser de les exécuter ponctuellement et sans délai. Les lieutenants des maréchaux devaient cependant prendre garde de ne pas interrompre le service de la maréchaussée. Il arrivait parfois que l'orgueil et la fierté de ce temps soient un obstacle à cette bonne entente et ces attitudes firent l'objet de remarques de la part des maréchaux (A).
La pratique des duels ne s'étant pas affaiblie, Louis XV, dans un édit de février 17234, s'engageait à son tour dans la lutte contre cette coutume mortifère. Rappelant les nombreux édits et déclarations de ses aïeux et notamment celui de son arrière-grand-père du mois d'août 1679, il jugea utile d'y ajouter quelques nouvelles dispositions. Il exigeait de sa noblesse qu'elle rendre compte sans délai aux maréchaux de France ou à leurs lieutenants de tout démêlé ou querelle. Ceux qui s'affranchissaient de cette étape et croisaient le fer étaient condamnés à la peine de mort. Le principe de n'accorder aucune grâce quelle que soit la personne ou la cause fut maintenu et les maréchaux eurent la possibilité d'aggraver les peines prévues par les ordonnances. Les prévôts des maréchaux et leurs lieutenants étaient tenus d'informer dès qu'ils avaient connaissance de faits se rapportant au sujet et devaient adresser immédiatement leurs procès-verbaux aux maréchaux de France.
Le motif principal de leur institution ayant été de veiller dans les provinces au maintien de la paix et de l'union parmi la noblesse leur premier devoir était d'engager les parties à se concilier, au besoin en convenant d'arbitre. Si cette démarche demeurait infructueuse, le lieutenant devait faire défense aux parties d'engager le fer ou autre voie de fait. Ces interdictions étaient signifiées aux intéressés par les sous-lieutenants ou maréchaux des logis des maréchaussées qui dressaient alors un procès-verbal.
La compétence de ces officiers les autorisait à prendre dans certains cas et par ordonnance des mesures restrictives à l'égard des intéressés (garde auprès d'un gentilhomme, détention provisoire suite à des faits violents, pour manque de respect envers leur personne ou refus de se présenter devant eux au jour et à l'heure indiquée ...). La maréchaussée était chargée de mettre à exécution ces sanctions. Les rétributions attribuées aux officiers et cavaliers de la maréchaussée pour l'exécution des ordres des lieutenants des maréchaux de France étaient fixées par un règlement du tribunal du 21 avril 1735. Ces mesures temporaires faisaient l'objet d'un procès-verbal qui était adressé au tribunal dans les vingt-quatre heures de leurs mises à exécution. Lorsque l'instruction était terminée, le lieutenant l'envoyait au tribunal pour y être jugé.
Les lieutenants, conseillers rapporteurs et secrétaires-greffiers étaient pourvus à titre d'offices héréditaires ce qui leur permettait de disposer de la charge et ainsi de la céder à leurs héritiers ou ayant cause ou bien de la vendre. Cette disposition amena à ces postes des titulaires qui par leur incompétence amenèrent de nombreuses complications. Dans une déclaration du 13 janvier 1771, le roi ordonna qu'il soit pourvu au remboursement des offices et que dorénavant ces derniers ne soient concédés qu'à vie. Le choix et la nomination de ces officiers relevaient des maréchaux de France entre les mains desquels les pourvus prêtaient serment.
Les lieutenants des maréchaux n'avaient jamais porté d'uniforme jusqu'à l'ordonnance du 15 juin 17715 qui régla les détails de celui que le roi leur attribua. Ses officiers eurent alors une grande et une petite tenue.
La grande tenue était composée d'un habit de drap bleu de roi avec
le collet, les parements, la veste et la culotte écarlates. Sur le
collet, les poches et les parements courait une riche broderie d'or
composée d'un bordé et d'une double baguette sur lesquels est appliquée
une guirlande de feuilles de chêne en broderie d'or qui serpente sur la
baguette et la dépasse des deux côtés en s'étendant d'un côté jusqu'au
bordé et de l'autre sur le drap de l'habit. Le même ornement entoure le
collet et il est répété deux fois sur les poches en travers et à
écusson et une fois en dessus. Il est également répété deux fois sur
les parements ainsi que sur la veste qui a aussi des poches en travers
à écusson. Le devant de l'habit était garni de neuf boutons, il y en
avait trois
sur le parement et de trois au dessous de la poche. Ces boutons sont
dorés entourés d'un bordé d'or et portent en broderie d'or et d'argent
deux épées de connétable croisées en sautoir sur un bâton de maréchal
de France.
Ce riche uniforme, à la fois élégant et militaire était porté qu'en de grandes occasions. Pour le service courant, les lieutenants des maréchaux revêtaient la petite tenue qui ne différait que par la qualité de l'étoffe et par la largeur des broderies. Il était en toile bleu de roi au lieu d'être en drap avec le collet et les parements en étoffe écarlate et l'ensemble de la broderie avait été réduite en largeur dans toutes ses parties.
Pour donner plus de solennité à leur uniforme, quelques lieutenants
crurent bon de rajouter une épaulette à leur uniforme. Cette marque
porté arbitrairement fut l'objet de nombreuses critiques de la part des
militaires. Pour éviter toutes espèces de plaintes ou de remontrance à
ce sujet, le tribunal décida dans un règlement du 18 mars 17826
que les
lieutenants des maréchaux ne pourraient porter sur leur uniforme que
l'épaulette du grade qu'ils avaient dans les troupes du roi.
1 Édit du mois de mars 1693 portant création d'un lieutenant de messieurs les maréchaux de France et d'un office de garde de la connétablie en chaque bailliage et sénéchaussée (donné à Versailles).
2 Édit de novembre 1707 portant création d'un lieutenant des maréchaux de France par augmentation (donné à Versailles).
3 Règlement du 10 novembre 1723 entre les lieutenants des maréchaux de France et les prévôts des maréchaussées (Fait à Paris).
4 Édit de février 1723 sur la défense des querelles, duels, appels et rencontres : portant confirmation et augmentation des peines contenues aux édits, déclarations et arrêts fait ci-devant le même sujet (donné à Saint-Germain-en-Laye).
5 Ordonnance du 15 juin 1771 qui règle l'uniforme des officiers du point d'honneur, établis dans les provinces ainsi que des gardes de la connétablie qui leur sont subordonnés.
6
Règlement du 18 mars
1782 portant sur l'épaulette des lieutenants du tribunal et
autres officiers du point d'honneur.
L'évolution des moeurs par l'action
civilisatrice des sciences et des lettres qui prirent sous le règne de
Louis XIV un
si brillant essor contribua à diminuer le nombre des duels.
La philosophie s'attacha elle-même à combattre le duel. Sous les règnes
de Louis XV et louis XVI les lois élaborées sous Louis XIV et portant
interdiction des duels continuèrent de s'appliquer jusqu'à la
révolution. Le 7 septembre 1791(B),
un décret supprimé les cours, tribunaux et juridictions d'ancienne
création. Le tribunal du point d'honneur disparut, mais pas les duels.
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