LA JURIDICTION PRÉVÔTALE

Sommaire
Le système judiciaire au XVe siècle
La juridiction prévôtale
Compétence juridictionnelle
Les règles de procédure
Fin des juridictions prévôtales
Les juridictions d'exceptions
Les cours prévôtales sous la restauration

C'est au cours du XVe siècle, que les juridictions extraordinaires commencèrent à se multiplier de telle sorte que vers la fin de ce siècle, la justice était divisée en deux grandes familles : la justice ordinaire et la justice extraordinaire. Les juges ordinaires avaient une juridiction générale en matière criminelle. Ils connaissaient dès lors de tous les faits punissables à l'exception de ceux qu'une loi spéciale réservait à un autre juge. Les juges ordinaires étaient les juges des seigneurs, les prévôts ou châtelains royaux, les baillis et sénéchaux et les juges des parlements.

À l'inverse, les juges extraordinaires ne pouvaient connaître que certains crimes qui leur avaient été spécialement attribués par les ordonnances du royaume. Parmi eux, il y avait les prévôts des maréchaux, les officialités, les présidiaux et lieutenants criminels de robe courte, les juges des élections, monnaies et gabelles, les juges des eaux et forêts, la chambre des comptes, le grand conseil, le lieutenant général de police, les juges de l'amirauté, les juges de la connétablie, les juges militaires, etc.

LE SYSTÈME JUDICIAIRE AU XVe SIÈCLE

Les baillis et sénéchaux
Leur création

Les Romains, persuadés de l'importance du commerce, s'employèrent grandement à assurer la tranquillité publique dans leurs villes, mais également dans les campagnes desquelles ils tiraient toute leur subsistance. Sous leur domination, ils avaient établi des milices pour purger les provinces de leurs voleurs et assassins. Grâce à la vigilance de ses troupes, les paysans et commerçants pouvaient espérer vivre en paix. Ces petites unités armées étaient chargées de capturer et d'interroger les accusés avant de les remettre au magistrat de la province qui devait y maintenir la tranquillité en ayant, au besoin, recours à tous les officiers qui pouvaient y contribuer.

Sénéchal

Tant que les Gaules ont été sous la domination des Romains et ont fait partie des provinces de l'Empire, cette police a été observée. Nos rois, après leurs conquêtes, n'apportèrent aucun changement à l'ordre public à cet égard. Sous les deux premières dynasties, les comtes, établis dans les capitales de province pour remplacer les proconsuls romains, furent comme eux chargés de toutes les obligations de ces magistrats romains en même temps qu'ils entrèrent dans toutes leurs prérogatives. Les rois leur enjoignirent très expressément de purger de leurs malfaiteurs leur comté et d'y rendre la justice. Les capitulaires de Dagobert 1er, de Childéric III, de Charlemagne, Louis le Débonnaire et Charles le Chauve recommandaient à ces magistrats de maintenir l'ordre, de pourvoir à l'abondance et au juste prix des vivres, de protéger le commerce et d'y maintenir la bonne foi, d'entretenir les rues et grands chemins, etc. Ce fut des débris de ces grandes juridictions que se formèrent au commencement de la 3e dynastie les juridictions connues sous le nom de prévôté, vicomté, viguerie. C'étaient des justices subalternes ou de premier degré et les bailliages et sénéchaussées étaient les juridictions supérieures.

Les baillis et les sénéchaux qui leur ont succédé dans le gouvernement et dans la magistrature des provinces furent chargés, à leur tour, de les purger de leurs malfaiteurs et d'y maintenir la paix. Leur installation se fit à une époque où les jugements reposaient essentiellement sur le droit coutumier et local. Une ordonnance de Charles VI (1380 - 1422) du 27 mai 1413 leur permit de se faire assister par des lieutenants pour accomplir leurs chevauchées dans les juridictions inférieures, rappelant le bon ordre et jugeant les affaires courantes.

Le droit romain
Charles VIII

Vers la fin du XIIIe siècle, le droit romain fut introduit et se substitua peu à peu au droit coutumier. La multiplicité et la complexité des affaires décidèrent de l'étude du droit et Charles VIII (1483 - 1498), par édit du mois de juillet 1493, exigea que les lieutenants généraux soient diplômés. Cinq ans plus tard, Louis XII (1498 - 1515) dans une ordonnance de mars 1498, étendait cette exigence à toutes les charges de judicature qui ne furent confiées qu'à des docteurs et des licenciés. Les baillis et sénéchaux, pour la plupart peu lettrés, se trouvèrent alors dans l'incapacité d'exercer leurs charges de judicature et leur rôle se borna à leurs fonctions militaires. Bien vite, toute l'administration de la Justice se trouva entre les mains des lieutenants généraux.

La même ordonnance rehaussait encore la position de ces derniers en enlevant aux baillis et sénéchaux le droit de les nommer. Leur nomination appartint uniquement au roi qui transforma la lieutenance en office. À cela, Louis XII exigeait, dans l'article 49 de son Ordonnance de 1493, que le quart des gages soient attribués aux lieutenants, à moins que les baillis et sénéchaux « ne fussent lettrés et gradués, & qu'ils fissent résidence & exerçassent en personne leurs offices, auquel cas ils prendront leurs gages entièrement ».
Le ressentiment des baillis et des sénéchaux à l'égard de ces impératifs fut tel qu'ils commencèrent à négliger leurs missions. Certains d'entre eux contournèrent cette disposition en vertu de quelques grades obtenus auprès d'universités complaisantes et exercèrent la plénitude de leur fonction en s'arrogeant le titre de baillis de robe longue. Cet abus sera réformé par l'article 48 de l'Ordonnance d'Orléans de 1560, qui porte que « vacation advenant, n'y sera par Nous ou nos successeurs pourvu que de personnes de robe-courte, Gentilshommes, et de qualité requise, sans que tels offices puissent être vendus directement ou indirectement ».

François Ier poursuit la réforme

Sur le plan des relations extérieures, le royaume de France était toujours en guerre pour faire valoir ses droits sur le royaume de Naples, puis sur le duché de Milan. Lorsque François Ier fut sacré roi de France le 25 janvier 1515, la quatrième guerre d'Italie venait de prendre fin. Au cours de l'été 1515, il repartit à la conquête du Milanais. La paix fut enfin signée le 29 novembre 1516, mais elle n'apportait pas pour autant la sérénité dans le royaume. L'état d'insécurité dans les campagnes était permanent et les populations excédées firent remonter au roi plaintes et doléances.

François Ier

François Ier décida d'engager de grandes réformes qui allaient marquer durablement l'administration du pays. Par Édit du 8 juillet 1521, il révoqua la survivance des offices qu'avait accordée Louis XI en 1467. Cette disposition ne donnait plus au roi la possibilité de nommer à ces postes des personnes capables ou méritantes et maintenait ces charges dans les mains d'héritiers le plus souvent ignorants et incapables. Cette mesure, ajoutée à celle exigeant des magistrats qu'ils fussent dorénavant diplômés en droit, amplifia la fronde des juges, baillis et sénéchaux qui exprimèrent leur mécontentement en ne traitant plus les affaires ou en les maintenant sans jugement dans des délais intolérables. Ce comportement irresponsable fut perçu par les malfaiteurs comme une espèce de blanc-seing leur permettant de multiplier sans risques leurs méfaits au détriment des populations. Pour contrarier cette attitude condamnable, François Ier décida d'ôter aux lieutenants généraux des bailliages et sénéchaussées leur compétence en matière criminelle. Il scinda leurs prérogatives juridictionnelles en deux disciplines distinctes, une juridiction civile et une juridiction criminelle. Dans une déclaration du 14 janvier 1522 (1), il créa un office de lieutenant criminel dans le ressort de chaque bailliage, sénéchaussée et prévôté afin de « pourvoir à la punition et correction des crimes, délicts et maléfices qui se font et commettent en nostredit royaume, et en faire faire prompte et briefve justice, pour donner crainte et terreur ausdits malfaicteurs ».

Désormais les lieutenants-généraux des bailliages n'avaient compétence qu'en matière civile. Cette nouvelle situation créa des distensions et de nombreux conflits entre les baillis, les sénéchaux, les prévôts royaux, châtelains et autres juges inférieurs du royaume. Pour mettre un terme à ces rivalités, François Ier dans un édit du 19 juin 1536 donné à Crémieux(2) réaffirmera la prééminence des baillis et sénéchaux dans les matières qui leur étaient attribuées.

À ces disputes internes, allait s'ajouter la rivalité avec les justices extraordinaires, dont celle des prévôts des maréchaux.


(1) Déclaration du 14 janvier 1522 portant création d'un office de lieutenant criminel en chaque bailliage, sénéchaussée, prévôté, ressortissant aux cours de parlement.

(2) Édit de juin 1536 qui règle la juridiction des baillis, sénéchaux et juges royaux.

LA JURIDICTION PRÉVÔTALE

Jusqu'à cette époque, les baillis, les sénéchaux et leurs lieutenants généraux étaient des magistrats itinérants. Ils n'avaient pas de siège déterminé et tenaient leurs assises dans tous les sièges des vicomtés de leur ressort. Les lieutenants criminels, nouvellement créés, furent au contraire rattachés à un tribunal. Leur office distinct et séparé de toutes autres charges était uniquement consacré à juger les affaires criminelles. Cette disposition qui avait pour but « de faire promte et briefve justice pour donner crainte et terreur ausdits malfaicteurs » eut pour mauvaise conséquence de laisser les campagnes sans surveillance au grand profit des brigands et criminels de toutes sortes.

1536 - Nouvelle compétence ratione personæ

Pour corriger ce défaut, François Ier décida, dans son édit du 25 janvier 1536(1) donné à Paris, d'étendre la compétence judiciaire des prévôts des maréchaux et de leurs lieutenants aux délinquants tenant les champs et opprimant le peuple « qu'ils ayent domiciles, ou se fussent retirez en iceux, ou qu'ils fussent errans et vagabons ». Désormais, leur juridiction ne s'étendait plus seulement sur les militaires, mais concernait une certaine catégorie de personnes civiles. Ils devaient pour cela opérer en flagrant délit et le roi leur donna la possibilité, pour appréhender ces malfrats ou pour mettre à exécution les décrets de justice, de faire appel aux vassaux, nobles et autres habitants du pays pour que « force reste à la loi ». Dans le même Édit, François Ier leur attribua également la connaissance des crimes et délits que les délinquants auraient pu commettre en d'autres lieux, antérieurement à leurs arrestations. Les prévôts devaient, sous trois jours, réunir un tribunal constitué de « quatre notables personnages, gens de sçavoir et conseil de nos officiers » pour procéder à la punition et aux dédommagements des parties. Il retira aux prévôts royaux et leurs lieutenants ces cas de flagrant délit et interdit aux cours, baillis, sénéchaux et autres juges d'en prendre connaissance.

Avec cette loi, François Ier attribuait aux prévôts des maréchaux une juridiction. En leur accordant le pouvoir de procéder aux jugements et à la punition des criminels à l'exclusion de tout autre juge, il plaçait la juridiction prévôtale au nombre des juridictions extraordinaires.

La maréchaussée devenait une magistrature armée et sa juridiction prenait le nom de "prévôtale". Les crimes que les prévôts pouvaient juger et qui leur étaient désormais attribués prenaient le nom de « cas prévôtaux ».

Cette force, employée à l'origine pour mettre à exécution les ordonnances sur la police générale du royaume, allait être utilisée pour purger le pays des brigands qui le ravageaient. Cette importante décision inaugurait le régime mixte, militaire et civil qui caractérise encore aujourd'hui la gendarmerie. Ces nouvelles compétences donneront lieu à la création de nouveaux prévôts spécialement attachés aux troupes qui porteront le nom de prévôt de l'armée pour les distinguer des prévôts des Maréchaux.

1538 - Nouvelle compétence ratione materiæ

Deux ans plus tard, toujours confronté à l'inertie des justices ordinaires, François Ier donnait aux prévôts des Maréchaux, un autre délit particulier. Pour préserver la faune sauvage des forêts du domaine, il leur attribuait exclusivement, dans une déclaration du 12 décembre 1538 (2), la connaissance des crimes et des délits en matière de chasse. Cette décision fut motivée par la lenteur des procédures et le jeu des renvois devant les baillis, sénéchaux et cours de Parlement, dont les décisions demeuraient inexécutées. Le roi voulait que ces procès soient rapidement exécutés et les sentences effectivement appliquées afin de faire cesser au plus vite le pillage du gibier et le préserver de disparition. Pour stimuler leur zèle en la matière, François Ier par Lettres patentes du 1er juillet 1539 données à Paris, accorda aux prévôts des Maréchaux, la moitié des amendes auxquelles étaient condamnées les contrevenants aux ordonnances sur la chasse et le quart aux dénonciateurs.

En 1544, après la paix faite au mois de septembre avec l'Empereur, les troupes fournies en complément des troupes régulières furent licenciées. Ces soldats, privés de revenus se mêlèrent aux déserteurs des troupes conservées et aux incapables et fainéants de toutes sortes pour vivre de leurs rapines. Les baillis et sénéchaux, qui avaient été privés quelques années auparavant de la voix délibérative dans l'administration de la juridiction contentieuse, s'abstinrent d'effectuer leurs chevauchées, ce qui favorisa le phénomène et la plus grande partie du royaume fut rempli en peu de temps de voleurs et de vagabonds. Ce furent ces motifs qui déterminèrent François Ier d'élargir la compétence des prévôts des maréchaux à d'autres crimes. Dans une déclaration du 3 octobre 1544(3) , il leur accordait, pour la première fois par concurrence et prévention avec les baillis et sénéchaux, la justice, correction et punition sur les gens de guerre qui abandonnaient, sans motif valable, le service ou les garnisons et sur tous les vagabonds et autres malfaiteurs qui tenaient les champs et y commettaient des vols, des violences ou autres crimes similaires.

Cette augmentation de pouvoir attacha les prévôts des Maréchaux dans leurs provinces. L'obligation d'y faire résidence et de vaquer continuellement à leurs devoirs et à leurs chevauchées leur fut signifiée expressément par plusieurs édits sous peine d'être démis de leur fonction et de pourvoir à leur place des gens plus capables. Henri II dans une déclaration du 26 juin 1547(4), chargea les trois maréchaux de France de contrôler leur action et de s'assurer qu'ils accomplissaient bien « leurs chevauchées & vizitations ordinaires & continuelles par tous les lieux & endroits de leur ressort ».

Coexistence des justices ordinaires et prévôtales

La coexistence des justices ordinaires et de la justice prévôtale fit l'objet d'une prodigieuse rivalité que les rois devaient perpétuellement combattre. Si les premières ordonnances publiées à l'attention des prévôts ne traitaient que du but à atteindre, on remarque, dans les suivantes, que ce but était toujours affermi de dispositions interdisant aux justices ordinaires d'y prendre part. La rancune, des baillis, sénéchaux et prévôts royaux envers la couronne, était tenace et si, en usant de négligences, ils n'avaient pas pu retrouver les privilèges qu'ils avaient avant les grandes réformes, ils comptaient bien les recouvrer autrement. Dans une démarche empreinte d'animosité envers les prévôts, ils allaient continuer leur rébellion feutrée en entravant leur action.

L'ordonnance du 5 février 1549(5) sur la juridiction des prévôts des maréchaux et des juges présidiaux est assez révélatrice de cette mentalité. Henri II dénonçait dans son préambule les prétentions inacceptables des Cours de Parlement, baillis, sénéchaux et autres juges qui prenaient connaissance des affaires traitées par les prévôts des maréchaux et faisaient obstacle à leur action sous couvert d'une soi-disant incompétence juridique. Il apporta dans cette ordonnance les éléments nécessaires pour lever toute ambiguïté sur ce sujet et renouvela aux justices ordinaires qu'elles pouvaient, dans les mêmes conditions attribuées aux prévôts « connoître & juger sans appel de tous les crimes & délits de la compétence des prévôts des Maréchaux par prévention & concurrence en appellant à leurs jugemens jusqu'au nombre de sept Conseillers de leurs Sieges ». Il rajouta que « si quelqu'un des condamnez vouloit se pourvoir contre ces jugemens prétendant que les condamnez ne fussent de la qualité de ceux qui doivent y être sujets, ils se retireront pardevers le Roy ou son Chancellier pour y être pourvû; Sa Majefté en interdisant la connoissance à sa Cour de Parlement ».

Le ressentiment des justices ordinaires envers les prévôts des Maréchaux fut permanent et insidieux. Dans sa déclaration du 15 juin 1598, Henri IV exposait l'état de discrédit dans lequel les prévôts des Maréchaux avaient été jetés par les juges ordinaires qui n'avaient à leur égard que mépris et dédain. Cette condescendance prenait corps « ... par les entreprises que font fur leurs Charges les Juges Prefidiaux & ordinaires qui s efforcent les prevenir & préceder tant en l'exercice de leurs Charges qu'és Affemblées & leur ôtent l'honneur des captures qu'ils font, retiennent les perfonnes qui bon leur semble aprés que lefdits Prévofts ont travaillé jour & nuit & hazardé leur vie à les prendre & ne laiffent que les malotrus & coquins à la punition defquels il n y a loüange ni honneur, bref les annichillent & abaiffent tant qu'ils peuvent pour les priver de toute autorité ».

Conseiller du XVIe siècle

Cette attitude mépridable avait conduit les prévôts, vice-baillis et vice-sénéchaux à négliger leur charge. Pour redonner à cet office toute sa considération et autorité, Henri IV demandait, dans cette déclaration, qu'il ne soit pourvu à ces places que des « Gentilshommes & de noble race, quoy que ce foit de qualité notable, ayant pour le moins cinq cens livres de rente en fonds de Terre pour maintenir la dignité defdits Etats & aprés en avoir fait preuve ensemble de leur bonne reputation & prud'hommie & qu'ils auront été de nos Ordonnances ou commandé à l'Infanterie l'espace de quatre ans, conformément aux Ordonnances de nos Predecesseurs Rois, seront admis & auront lefdits Prevosts Provinciaux, Vice-baillys & Vice-senéchaux & leurs Lieutenans titre & qualité de nos Confeillers que Nous leur avons attribué & attribuons pour leurs autoritez & les rendre plus refpectez en l'execution de leursdites Charges ». À cela, et afin que cette considération soit réalité, le roi décidait que les officiers des maréchaussées auraient dorénavant voix déliberative au jugement des procès de leur ressort et auraient rang et séance en tous les présidiaux et sièges royaux, en tous lieux et assemblées publiques après les lieutenants généraux civils et criminels des baillis et sénéchaux.

L'incompétence juridique fut, pour les juridictions ordinaires, un autre trés bon moyen fréquemment utilisé pour arracher aux prévôts des Maréchaux leurs droits en matière de justice. La requête adressée à Henri III par Nicolas Pezon, prévôt général du Languedoc, concernant les crimes de rapt et d'incendie est particulièrement révélatrice. Dans la déclaration, qui lui fut rendue en réponse le 18 janvier 1585, le roi souligne dans son préambule l'attitude des juges du présidial en ces termes : « Toutefois aucuns de nos Officiers és Sieges Presidiaux du dit Pais de Languedoc, s'efforcent de jour à autre l'empêcher à l'exercice de sa Charge , et entreprendre sur ses autoritez & Jurifdiction, qui est caufe que par telles entreprises la Justice est fort retardée , & ne se peut ledit Prevost acquitter du devoir de sa Charge ». Henri III confirmait la nature prévôtale pour ces crimes et déclarait qu'aussitôt jugé compétant, les juges des présidiaux devaient entièrement abandonner l'affaire au prévôt avec interdiction de s'immicer dans son instruction sous peine de privation de leurs états. Il leur rappelait enfin « que la juridiction et pouvoir des prévôts ne procède desdits juges présidiaux; mais de Nous ».

L'arrogance des justices ordinaires ne fut pas un frein au développement de la justice prévôtale qui, bien au contraire, bénéficia de la pitoyable attitude des juges ordinaires pour prendre de l'ampleur. Ainsi, quelques années après leur création, les prévôts pouvaient connaître les vols commis sur les chemins publics ou dans les maisons, des crimes par embuscade perpétrés soit par des militaires ou des civils, les guetteurs de chemins, les sacrilèges avec effractions, les agressions armées que son auteur soit domicilié ou vagabond, auxquels cas le roi rajoutait les cas précédents et qui concernaient le fait des chasses et celui du crime de fausse monnaie. L'ordonnance du 5 février 1549 fut l'une des premières à inventorier tous les cas prévôtaux. Par la suite, la nécessité de définir précisément chaque cas prévôtal fit l'objet de grandes ordonnances résultant d'une évolution du droit dans son interprétation et dans son application. L'ordonnance criminelle de 1670 et la déclaration de 1731 font partie de ces textes que nous aborderons plus bas.

Un autre sujet de préoccupation pour la couronne concernait la rapidité avec laquelle les affaires étaient traitées. Les trois jours accordés aux prévôts des Maréchaux pour instruire et juger leurs affaires contrastaient grandement avec les interminables délais des justices ordinaires. Dans le préambule de l'édit de création des sièges présidiaux de janvier 1551(6), Henri II faisait l'amer constat d'une justice cupide et laxiste. Il faisait part de toute son amertume en dénonçant l'attitude des juges face aux soins que ses prédécesseurs et lui-même avaient apportés à la rédaction des lois pour avoir « une bonne, utile et nécessaire justice capable de juger rapidement les affaires ».

Parlant de ces ordonnances, Henri II s'exprimait ainsi « Nous en avions esperé; mais aucontraire par la mauvaise foi des parties , ou souvent par excessif gain & profit qu'en tirent ses Ministres & suppôts de la Justice par les mains desquels il faut passer, lefdites Ordonnances, quelque bonnes qu'elles soient, semblent quasi avoir produit & donné moyen de plus grandes longueurs auxdits procès, par les subtilités & involutions que l'on a requis & trouvés à prolonger l'expedition d'iceux & pervertir l'ordre & formalité de Juftice, de sorte que la plus part de nos sujets délaissent & abandonnent leur bonne & manière de vivre, avec leurs Arts , industrie , & tous autres vertueux & notables exercices auxquels ils sont appellés, emploient le temps de leur vie à la poursuite d'un procès, sans en pouvoir voir la fin & confument leurs meilleurs ans avec leurs biens, facultés & substance en chose si serve & illibérale qu'est ceste occupation comme chacun sçait ».


(1) Édit du 25 janvier 1536 portant sur les attributions et la juridiction des prévôts des maréchaux et sur la punition des vagabonds et gens sans aveu.

(2) Déclaration du 12 décembre 1538 portant attribution aux prévôts des maréchaux et leurs lieutenants, de la connaissance du fait de chasse.

(3) Déclaration du 3 octobre 1544 portant attribution de juridiction aux prévôts, pour la punission des gens de guerre, tenans les champs, pillans et opprimans le peuple.

(4) Déclaration du 26 juin 1547 qui régle les fonstions & départemens des prévosts des Maréchaux & de leurs archers.

(5) Édit du 5 février 1549 contenant pouvoir & juridiction aux prevosts des Mareschaux de France, & juges presidiaux ordinaires par preuention & concurrence, sans appel contre les voleurs, guetteurs de chemins, sacrileiges & faulx monnoyeurs.

(6) Édit du mois de janvier 1551 portant création des sièges présidiaux.

COMPÉTENCE JURIDICTIONNELLE

Pour répondre à l'inaction des justices ordinaires en rébellion contre la couronne, François Ier, dans ses lettres patentes données à Paris en 1536, avait attribué aux prévôts des Maréchaux une juridiction pour juger le plus rapidement possible, tous ceux qui « se trouueroi chargez defdides volleries comises tant es chemins publicqs que es maifons de noz fubgectz, foit quilz fussènt domiciliez ou non ». L'instruction faite, le prévôt des Maréchaux devaient s'entourer de « quatre notables personnages de sçavoir & conseil de ses officiers » pour prononcer la sentence. Par la suite, ce prince leur accorda d'autres infractions spécifiques comme celles touchant au fait de la chasse ou de la fausse monnaie. Pour s'assurer qu'avec le jeu des renvois, les justices ordinaires ne dévoient ses décisions, il avait interdit aux Cours de Parlement, baillis et sénéchaux d'en prendre connaissance. Le nombre de crimes et de délits attribués aux prévôts des maréchaux augmentant, il devenait nécessaire de les regrouper en un seul texte et de borner l'action de chacun.

1549 - Édit de Fontainebleau

Irrité de constater que la volonté de son père et la sienne n'étaient pas correctement observées, Henri II rassembla, dans l'édit du 5 février 1549(1), tous les crimes et délits qui avaient été attribués aux prévôts des maréchaux et à leurs lieutenants. Ces infractions particulières, relevant de cette juridiction extraordinaire, furent très rapidement désignées sous le nom de cas prévôtaux.

Dans cet édit, Henri II accordait aux prévôts des maréchaux le pouvoir de connaître et juger les infractions suivantes :

  1. Les voleurs, pris en flagrant délit ou non,
  2. ceux qui auront tenus ou tiennent les champs, qu'ils soient « gens de guerre tant de cheval que de pied, & autres non estans gens de guerre de quelque qualité & condition qu'ilz soient »,
  3. les guetteurs de chemins, qu'ils soient en ville ou au champ,
  4. les sacrilèges avec effraction,
  5. les agressions faites avec port d'arme, en villes et aux champs, qu'elles soient diriger envers les nobles ou toute autre personne quelle qu'elles soient.
Henri II

Henri II confirmait que ces infractions étaient applicables aux vagabonds comme aux domiciliés et exigeait que l'instruction de l'affaire soit réalisée dans un délai de trois jours. Il renforçait les garanties d'impartialité de ces jugements en augmentant le nombre de conseillers devant siéger au tribunal prévôtal en imposant que les sentences de tortures et définitives soient rendues par « sept bons & notables perfonnaiges, gens de sçauoir, & confeil de noz officiers, & autres de la qualité de ceulx contenue en iceulx edicts & ordonnances des lieux plus prochains ou ilz tiendront prisonniers lesdictz delinquans ». Le roi renouvelait l'interdiction de son père faite aux Cours de Parlement, baillis, sénéchaux et tous autres juges de prendre connaissance des appels qui pourraient naître de ces jugements, mais permettait aux baillis, sénéchaux, juges présidiaux et leurs lieutenants d'instruire et juger par concurrence et prévention avec les prévôts les cas qui leur étaient spécialement attribués à la condition de procéder de la même manière et sans appel. En cas de doute sur la qualité de l'infraction, les baillis, sénéchaux, juges présidiaux et prévôts devaient solliciter l'arbitrage du chancelier et non celui des Cours de Parlement toujours interdites dans ce genre d'affaires.

Après avoir fixé et précisé les cas ci-dessus, Henri II étendait la juridiction de la maréchaussée aux délits de la chasse qui depuis le développement des armes à feu décimait les forêts et garennes de leur gibier et à celui de la fausse monnaie.

Malgré les édits de son père concernant la chasse publiés le 12 décembre 1538 et le 1er juillet 1539 et par lesquels il attribuait ce délit aux prévôts des Maréchaux, ces derniers étaient constamment entravés dans leurs actions par les Cours de Parlement qui, pour passer outre la volonté du roi, n'avaient pas voulu enregistrer et publier ces édits. Ainsi, très peu réprimées par les justices ordinaires, les sentences des prévôts des maréchaux étaient reçues en appel devant les Cours de Parlement, qui n'hésitaient pas à menacer les prévôts au point que ces derniers n'osaient plus poursuivre les délinquants au grand dommage de la faune sauvage. Henri II entérinait les édits de son père et confirmait qu'ils seraient exécutés suivant la forme décrite dans son édit.

Le second cas évoqué était celui de la fausse monnaie « qui pullulent plus que jamais en nostre Royaulme. Au grant detriment de la chose publicque, & de nous particulièrement ». Le roi, conscient de l'inaction des juges ordinaires sur ce sujet, ordonna que ce crime soit instruit et jugé par concurrence et prévention avec les prévôts nonobstant l'appel du jugement. Le jury devant être composé d'un juge présidial ou de son lieutenant et de six autres bons et notables personnages. Et afin que l'action du prévôt ne soit pas entravée par la lenteur des juges présidiaux, ces derniers devaient l'assister immédiatement après qu'ils soient informés sous peine de suspension de leurs états et offices et d'amendes arbitraires.

En réunissant dans une même loi tous les crimes que François Ier avait spécialement attribué aux prévôts des Maréchaux et les siens, Henri II établissait clairement la première liste des cas prévôtaux. Avec l'évolution du droit dans son interprétation et dans son application, il fut nécessaire de redéfinir plus précisément chaque cas prévôtal aux fins de les adapter aux exigences juridiques du moment. Ce travail de précision aboutira, bien des années plus tard, à des textes complexes comme l'ordonnance criminelle de 1670 et la déclaration de 1731 que nous aborderons plus bas.

1560 - Ordonnance d'Orléans

En 1560, suite à la réunion des États généraux à Orléans, Charles IX publia une grande ordonnance(2) abordant plusieurs sujets, dont un concernant les prévôts des maréchaux. Les règles relatives aux jugements des délinquants furent à nouveau énoncées. Ainsi, les prévosts des Connétables et Maréchaux de France chargés de surveiller les troupes, les prévôts provinciaux « establis pour aider à purger les provinces des gens mal vivans » devaient immédiatement renvoyer aux sièges ordinaires ceux qui ne leur étaient pas justiciables par édits. Ils devaient informer les baillifs, sénéchaux et juges ordinaires des lieux, des faits et des actes de procédure qu'ils avaient déjà accomplis. Il fut rappelé que les juges ordinaires pouvaient prendre connaissance par prévention des cas attribués aux prévôts, mais que l'instruction et le jugement de leurs procès devaient s'effectuer suivant la forme prévôtale prescrite par les ordonnances.

Charles IX

La juridiction ordinaire et la juridiction prévôtale étaient jusque là indépendantes l'une de l'autre. Bien que la justice ordinaire puisse juger de la même manière les cas prévôtaux, elle ne pouvait pas s'immiscer dans l'instruction et le jugement des affaires lorsque le prévôt s'en était saisi. Une première entorse à ce principe fut sanctionnée dans un règlement du 14 octobre 1563(3) fait en conseil du roi à propos des malfaiteurs habitant une ville close. Désormais, si ces malfaiteurs, relevant d'un cas prévôtal, étaient appréhendés en dehors d'une ville close, le prévôt des maréchaux était tenu d'appeler pour l'instruction du procès, les interrogatoires, les récolements et les confrontations un des officiers royaux du siège le plus proche ou un conseiller du siège présidial. Les jugements devaient se dérouler en présence de dix juges, officiers du présidial. Les prévôts ne pouvaient prendre connaissance des cas prévôtaux si l'infraction s'était déroulait dans une ville close, ils devaient alors remettre leur prisonnier aux juges royaux ordinaires.

Enfin, ce réglement soulevait le problème des inventaires qui n'avait jamais été abordé jusque là. Le roi ordonnait qu'un inventaire des biens appartenant au prisonnier soit dressé et envoyé aux greffes des présidiaux « Que lefdits prévots des maréfchaux & leurfdits lieutenans feront tenus de faire inventaire des biens qui feront par eux pris & faifis, & iceux rapporter & mettre és greffes des jurifdictions ordinaires pour les délivrer au receveur du Roi, afin d'en faire la recherche & pourfuite au profit de qui il appartiendra, & ce fur peine de privation de leurs États ». La probité des prévôts ayant été mise en cause dans cette opération, le roi décida dans son édit donné à Roussillon en 1564 qu'il serait réaliser en présence de témoins « ... Et pour obvier aux plaintes ordinaires des Prifonniers ordonnons que lefdits Prevofts, Vicebaillifs, Vicefenéchaux ou leurs Lieutenans feront tenus en l'inftant de la capture des accufez, faire en la prefence de témoins, parens ou proches voifins, fidel inventaire ou procez verbal des biens meubles appartenans aux Prisonniers pris faifis ou annotez fur luy ». Dans une déclaration du 10 juillet 1566, il demandait que les témoins signe l'inventaire « ... enjoignons tres expreffément aufdits Prevofts des Maréchaux Vicebaillifs & Vicefenéchaux à peine de privation de leurs Offices, appeller à la confection de l'inventaire des biens du prifonnier deux proches voifins de la Maison où le Prifonnier aura été apprehendé, ou bien l'un des Officiers du lieu pour y affister, leur faire figner ledit inventaire ».

1564 - Édit de Roussillon

Au mois d'août 1564(4), Charles IX publiait à Roussillon un édit en forme de règlement général concernant les prévôts des Maréchaux, les vice-baillis et vice-sénéchaux (1). Il y énumérait les cas prévôtaux : « Auront lesdits Prévôts & leurs Lieutenans connoissance de tous délits commis par Gens de guerre au camp & à la suite d'icelui, guêteurs de chemins, voleurs, larrons publics, sacriléges avec fracture, agressions faites avec port d'armes & tant en la Ville qu'aux champs, comme aussi entre vagabons , gens sans aveu, bannis & essorillés, crime de fausse monnoie, soit contre domiciliés ou non ; au cas toutefois qu'iceux domiciliés soient par eux pris & appréhendés pour aucun desdits crimes commis hors Villes closes ». Il renouvelait ensuite les règles de procédures. Pour garantir l'objectivité du jugement, les prévôts devaient, pour l'instruction, être assistés d'un officier royal du siège le plus proche ou d'un conseiller du siége présidial et pour le jugement, ils devaient s'entourer de sept officiers du siège présidial le plus proche. Il rappelait aussi que ces jugements seraient exécutés sans appel.

Avec des formulations par trop généralistes des cas prévôtaux, la distinction entre ces cas et les autres était un fréquent sujet de polémique. En cas de litige, les baillis, sénéchaux, juges présidiaux et prévôts devaient se pourvoir par-devers le roi ou le chancelier suivant l'édit de 1549. Charles IX dérogea à cette mesure et décida que « l'incompétence prétendue desdits Prévôts par les Prisonniers soit jugée au nombre de sept Conseillers, Officiers, ou à leur défaut, Avocats fameux du Siège Présidial plus prochain ». En faisant examiner toutes les affaires des prévôts par les juges du siège du présidial qui devaient se prononcer sur la qualité de l'infraction, le roi supprimait tout litige concernant la compétence des prévôts. Si l'affaire était jugée être un cas non prévôtal, l'incompétence du prévôt était déclarée et ce dernier devait immédiatement renvoyer l'affaire devant la juridiction ordinaire compétente. Dans le cas contraire, le prévôt jugeait l'affaire en toute indépendance suivant la rigueur des ordonnances.

De toute évidence, ce dispositif surchargeait la procédure qui était déjà bien compliquée, mais elle avait au moins l'avantage de mettre les justices ordinaires face à leurs responsabilités. En effet, le jugement rendu, la compétence du prévôt ne pouvait plus être mise en cause par les juges ordinaires ou par l'accusé.

1566 - Ordonnance de Moulins

Avec l'ordonnance de Moulins publiée en février 1566(5) , Charles IX réitérait les anciennes dispositions, mais apportait une modification sur celle concernant les jugements de compétence des prévôts des Maréchaux, vice-baillis ou vice-sénéchaux. Cette compétence ne pouvait désormais être jugée qu'au présidial le plus proche, par sept magistrats pris parmi les principaux officiers du siège. Ce jugement devait préalablement faire l'objet d'un rapport circonstancié de la part de l'un des lieutenants ou conseillers du siège, un rapporteur public en quelque sorte.

1581 - Édit de Saint-Maur-des-Fossés
Henri III

Par édit du mois de mai(6), Henri III avait créé un procureur du Roi dans chacune des juridictions des prévôts des Maréchaux, lieutenants criminels de robe courte, vice-baillis et vice-sénéchaux pour les accompagner dans leurs chevauchées et les assister dans leurs procédures judiciaires. Trois mois plus tard, pour éviter les différends entre les procureurs ordinaires des sièges présidiaux et royaux et ceux nouvellement créés, il unissait ces deux charges(7). Les prévôts étaient alors tenus de faire appel à ces derniers pour leurs chevauchées. Le roi enjoignait auxdits procureurs de se joindre aux chevauchées pour procéder aux réquisitions qu'ils jugeraient à propos d'être faites. Ils devaient signer le procés-verbal de la chevauchée dressé par le prévôt qui était chargé de les expédier semestriellement au chancelier ou garde des Sceaux et aux procureurs généraux des Cours de Parlement. Si par un empêchement légitime les procureurs ne pouvaient assister aux chevauchées, ils devaient se faire remplacer par « un perfonnage de probité & qualité requise du quel ils feront refponfables ».

Un arrêt du Parlement du 4 avril 1584 limita les pouvoirs des prévôts des Maréchaux, vice-baillis ou vice-sénéchaux au seul jugement et prononcé de la peine à infliger à l'accusé. La fixation des dépens, des dommages et intérêts, la destination des biens et meubles saisis étaient du ressort des juges ordinaires qui seuls avaient le pouvoir de statuer en ces matières. Des affaires particulières firent également l'objet de jurisprudence, ainsi, le cas d'un accusé jugé pour deux crimes, l'un prévôtal et l'autre non. Par arrêt du Parlement du 7 février 1598, la Cour décida que le crime prévôtal primait le non prévôtal, mais que l'affaire demeurait du ressort des juges ordinaires. Cette décision ne devait pas pour autant changer les règles des jugements prévôtaux et il fut interdit à tout juge de prononcer l'appel en pareil cas de concurrence de crimes.

1594 - Édit de Paris

En 1594, Henri III revenait sur l'édit de 1563. À cette époque, son frère Charles IX avait obligeait les prévôts des maréchaux de se faire assister par un officier royal du siège le plus proche ou d'un conseiller du siège présidial, pour l'instruction du procès, les interrogatoires, les récolements et les confrontations des malfaiteurs, relevant d'un cas prévôtal. Cette obligation avait plongé les affaires dans des délais interminables par la mauvaise volonté des officiers royaux qui refusaient de participer à ces opérations au prétexte de ne recevoir aucune indemnité pour accomplir ces actes. À cela s'ajoutait le problème matériel de l'éloignement des juges des lieux du crime rendant toutes ces opérations impossibles. Pour remédier à ce problème, Henri III, dans son édit de décembre 1594(8), créait un conseiller assesseur dans chaque juridiction des prévôts des maréchaux, vice-baillis, vice-sénéchaux, leurs lieutenants et les lieutenants de robe courte et dans tous les lieux de leur établissement. Avec un assesseur attaché à leur suite, les officiers de maréchaussée pouvaient procéder rapidement à l'exécution de tous ces actes et le procès pouvait à nouveau se tenir dans le délai fixé par les ordonnances.

1598 - Édit de Monceau
Henri IV

Le développement des armes à feu et leur dissémination au sein de la population devinrent un sujet de préoccupation important pour le pouvoir. La criminalité et la destruction de la faune sauvage augmentaient avec l'emploi de ces armes. Il fallut renouveler la législation mise en place par François II en 1559(9) pour contenir ce véritable fléau.
Dans un édit du 4 août 1598(10), Henri IV révoquait toutes les autorisations antérieures qui avaient été accordées à certains notables et fixait la liste des personnes autorisées à en porter ou à en posséder une. Ainsi, les seigneurs, gentilshommes et hauts justiciers étaient autorisés à posséder une arme, mais ne pouvaient l'utiliser qu'à l'intérieur de leur domaine. Le port des armes était tout simplement réservé aux militaires en service à condition qu'ils soient revêtus de leur casaque ou qu'ils soient en possession d'un certificat signé de la main de leurs capitaines et cacheté du sceau de leurs armes. Les lieutenants, greffiers et archers de la prévôté de l'hôtel, de la connétablie et maréchaussée de France, des prévôts subsidiaires des vice-baillis et vices-sénéchaux étaient soumis aux mêmes règles. Ils ne pouvaient porter d'armes que dans le cadre de leur service et devaient pouvoir être identifier grâce à leur sayes & livrée. Les peines pour ceux qui contrevenaient à cet édit étaient la confiscation des armes et des chevaux à laquelle s'ajoutaient 200 écus d'amende. S'ils récidivaient, ils encouraient la peine de mort.

Henri IV fit de cette infraction un cas prévôtal. Tous ceux qui ne remplissaient pas ces conditions devaient être arrêtés et menés au siège présidial ou être remis au prévôt des maréchaux, vice-baillis ou vice-sénéchaux auquel le roi «donnait le pouvoir de les juger sans appel au nombre de sept ».

Notes

(1) Dans son préambule, il précise que, sous des titres différents selon les provinces, ces trois charges sont identiques. Elles avaient été créées par Charles IX suite du peu de zèle dont faisait preuve le prévôt de Guyenne dans ses fonctions. Excédé par la multiplication des vols et agressions qui se produisaient dans toute la province, le roi décida, par Édit du mois d'octobre 1563, de le supprimer et d'établir à sa place, trois Gentilshommes pour exercer les mêmes fonctions, qu'il créa en titre d'Office. Un pour les sénéchaussées de Guyenne, Xaintonge, Périgord et Bazas; le second pour celles de Limousin, Quercy et Rouergue ; le troisième pour les sénéchaussées d'Agenois, Condomois, les Lannes, Armagnac et Comminges. Chacun de ces gentilshommes avait à sa suite un lieutenant, un greffier et vingt archers. Ces gentilshommes étaient officiers de maréchaussée et devaient à ce titre, suivant l'article 1 de l'édit d'août 1564, être reçus au siège de la connétablie à Paris. Le nom de vice-baillis et vice-sénéchaux faisait référence au territoire sur lequel ils exerçaient leur office, mais n'étaient point officiers de bailliages ou de sénéchaussées. Il en était de même pour les prévôts généraux ou provinciaux qui s'intitulaient prévôt général de telle province si la province était administrée par un gouverneur général, ou prévôt de telle province si elle n'en avait pas. Tous ces titres furent supprimés par l'article premier de l'édit du mois de mars 1720.


(1) Édit du 5 février 1549 sur le pouvoir et juridiction des prévôts des maréchaux de France et juges présidiaux ordinaires par prévention et concurrence, sans appel, contre les voleurs, guetteurs de chemins, sacrilèges et faux monnayeurs.

(2) Ordonnance du mois de janvier 1560 faite sur les plaintes, doléances et remontrances des députés des trois États. Donnée à Orléans.

(3) Réglement du 14 octobre 1563 sur la juridiction des prévôts et de leurs lieutenants.

(4) Édit d'août 1564 portant règlement de la juridiction des prévôts des maréchaux.

(5) Ordonnance de février 1566 portant sur la réforme de la justice.

(6) Édit de mai 1581 portant création d'un procureur du roi en chacune juridiction des prévôts des maréchaux, lieutenants criminels de robe courte, vice-baillis et vice-sénéchaux.

(7) Édit d'août 1581 portant union des procureurs du roi es maréchaussées nouvellement créés, aux procureurs du roi des sièges présidiaux et royaux, & réglement pour leurs fonctions.

(8) Édit de décembre 1594 portant création d'un conseiller de sa Majesté, assesseur en chacune juridiction des prévôts des maréchaux, vice-baillis, vice-sénéchal et lieutenants de robe-courte.

(9) Déclaration du 20 août 1559 concernant ceux ausquels il est permis de porter harquebuses & pistolts à feu.

(10) Édit du 4 août 1598 portant pouvoir aux prévôts, de juger sans appel au nombre de sept, les contrevenants audit édit.

1647 - Édit de Paris

Louis XIV, ayant été informé que les justices ordinaires mettaient beaucoup de zèle à entraver l'action des prévôts, voulut leur redonner leur place au sein du système judiciaire. Pour mettre fin à cet abus de pouvoir, il confirma, dans un édit du mois d'août 1647, tous les prévôts généraux, leurs lieutenants, les prévôts provinciaux, vice-baillis, vice-sénéchaux, leurs lieutenants, lieutenants criminels de robe courte, exempts, greffiers et archers sous leurs ordres et notamment ceux qui avaient été créés par Louis XIII, dans leurs titres, fonctions et exercice de leurs charges.

Il leur attribua les mêmes pouvoir et juridiction que ceux attribués aux lieutenants criminels de robe longue des sièges présidiaux, bailliages et sénéchaussées et leur permit de connaître concurremment avec eux « tous cas crimes, délits, injures & offenfes qui feront faits commis & perpetrez fortuitement & à deffein en quelque lieu & par quelque perfonne que ce foit, dans le Reffort de leur établissement, excepté dans l'enclos des Villes où il y a Prefidial, Bailliage ou Senéchauffée Royale, fans préjudicier à la Jurifdiction qu'ils y ont pour ce qui concerne les cas Prevoftaux ». Désirant que cette reconnaissance soit réellemnt suivit de faits, Louis XIV accordait aux « prévôts généraux et provinciaux rang féance & voix déliberative tant aux Audiences qu'aux Affemblées du Confeil des Prefidiaux de leur étenduë, immédiatement aprés le President de chacun defdits Sièges & leurs Lieutenans aprés le dernier Confeiller d'iceux ».

1670 - Ordonnance criminelle

Depuis leur création, les crimes et délits attribués aux prévôts sous le titre de « cas prévôtaux » avaient fait l'objet d'un grand nombre d'ordonnances, d'édits, de déclarations et autres arrêts du Conseil d'État ou des Parlements. Ainsi, après l'ordonnance du 25 janvier 1536, énumérant les premiers cas attribués aux prévôts, s'en suivirent ceux portant sur le braconnage (1538), le faux saunage (1547), les crimes de rapt et d'incendie et celui des duels (1602). Avec l'assassinat d'Henri IV, vinrent s'ajouter les crimes de séditions et d'assemblée illicites avec port d'armes. Pour clarifier très précisément le rôle, la place et la compétence de l'ensemble des juridictions ordinaires et extraordinaires et purger l'enchevêtrement des lois qui avaient été publiées au fil du temps, Louis XIV promulgua en 1670 l'Ordonnance criminelle (1).

Louis XIV

Cette ordonnance remettait de l'ordre dans une situation devenue trop confuse. Elle introduisait d'autres notions de droit en accordant par exemple aux lieutenants criminels des bailliages ou de sénéchaussées rattachés aux présidiaux de poursuivre et d'instruire en concurrence avec les prévôts les cas prévôtaux. Elle leur accordera même par préférence lesdits cas, lorsqu'ils s'en saisissaient avant le prévôt ou le même jour.

Cas prévôtaux

Les douze cas attribués aux prévôts étaient alors définis dans l'article 12 du Titre premier de cette ordonnance.

  1. Tous crimes commis par vagabonds et gens sans aveu ou par ceux qui ont été condamnés à des peines corporelles, bannissement ou amende honorable.
  2. Les oppressions, excès ou autres crimes commis par des gens de Guerre, tant dans leur marche, lieux d'étapes que d'assemblée et séjour pendant leur marche.
  3. Les déserteurs d'armées.
  4. Les assemblées illicites avec port d'armes.
  5. La levée de gens de guerre sans commission du Roi.
  6. Les vols faits sur les grands chemins.
  7. Les vols faits avec effraction.
  8. Les ports d'armes et violences publiques dans les villes qui ne sont pas celles de la résidence des prévôts.
  9. Les sacrilèges avec effraction.
  10. Les assassinats prémédités.
  11. Les séditions ou émotions populaires.
  12. L'altération, falsification ou exposition de fausse monnaie par toutes sortes de personnes.
Cas particuliers

À cette liste s'ajoutaient trois cas particuliers :

  1. Le premier est cité dans l'article 23 du titre II de cette ordonnance. Il étendait la juridiction des prévôts des maréchaux dans le cas particulier où de nouvelles charges ne faisant pas l'objet de plainte venaient accabler l'accusé au cours d'un procès prévôtal. Ces dernières étaient instruites conjointement et jugées prévôtalement même si ces charges n'étaient pas des cas prévôtaux.(1)
  2. Le deuxième était le crime de duel dont les prévôts des maréchaux pouvaient connaître même à la charge de l'appel suivant l'article 19 de l'Édit du mois d'août 1679(2).
  3. Le troisième étendait leur compétence sur les mendiants valides, non domiciliés suivant la déclaration du 25 janvier 1687 et celle du 18 juillet 1724 dans son article 8.
Restrictions :

Ces cas étaient cependant assortis de restrictions qui limitaient considérablement les pouvoirs judiciaires des prévôts.

  1. Ils ne pouvaient avoir la connaissance des cas prévôtaux que si ces derniers étaient commis à l'extérieur des villes.
  2. Ils leur étaient interdits de poursuivre en dehors des cas qui sont précisément désignés dans l'ordonnance sous peine de s'exposer à leur tour à des peines financières ou pires encore à l'interdiction d'exercer leur charge.
  3. Ils ne pouvaient juger en appel.
  4. Leur compétence s'étendait sur tous les sujets du royaume à l'exception des ecclésiastiques qui conservaient ainsi leurs privilèges.
  5. Ils étaient tenus de remettre aux baillis ou sénéchaux les criminels arrêtés en flagrant délit pour les cas prévôtaux, lorsque le crime se commettait hors de la compétence territoriale du prévôt.

À ces restrictions de compétences, s'ajoutaient celles liées à la qualité des officiers qui pouvaient agir sous les ordres du prévôt. Ainsi, les prévôts avaient interdiction de donner des commissions pour informer à leurs archers, à des notaires-tabellions ou autre personne à peine de nullité de la procédure et d'interdiction d'exercer (article 5 du titre II) (2). Cependant, les archers, sous la responsabilité du prévôt, pouvaient écrouer les personnes qu'ils avaient arrêtées (article 6 du titre II).

Outre ces individus du corps militaire, le prévôt des maréchaux était secondé par un assesseur (3) (règlement du 14 octobre 1563) qui avait obligation d'assister le prévôt dans ses interrogatoires et l'instruction du procès. Toutefois, il ne pouvait, en présence du prévôt, interroger le prisonnier, procéder à des confrontations ou même dicter aux greffiers la teneur du procès-verbal. En cas d'absence, l'assesseur était remplacé par un conseiller du siège du présidial dans lequel devait se dérouler le procès.

Le prévôt disposait aussi d'un rapporteur qui l'assistait pour recueillir les aveux de l'accusé lorsque ce dernier était soumis à la question, mais sa principale tâche était de dresser un état des taxes sur les dépens adjugés par jugement prévôtal.

Notes

(1) Les lettres patentes de François Ier en date du 25 janvier 1536, précisaient que les prévôts des maréchaux pouvaient avoir la connaissance des crimes et des délits non prévôtaux commis par les domiciliés à la seule condition que ces derniers commettent par la suite des crimes et des délits prévôtaux. Cette disposition fut modifiée par un arrêt du Parlement de Paris en date du 7 février 1598 qui obligea, dans les mêmes conditions de connaissance, tous les prévôts des Maréchaux et leurs lieutenants d'instruire conjointement les crimes non prévôtaux, mais leur interdit de les juger souverainement et en dernier ressort.

(2) Cette interdiction fut tempérée par l'article 8 de l'Édit de 1720 qui permit aux exempts d'informer en flagrant délit et lors de la capture seulement.

(3) Les assesseurs ont été créés en titre d'office pour remplacer les lieutenants criminels de robe longue dans les lieux où cette charge n'avait pas été créée. Un édit de décembre 1594 leur imposait de monter à cheval et de suivre le prévôt. Ces offices furent supprimés par édit du mois de mars 1720 qui précise dans son article 5 « Les places d'Assesseurs, de nos Procureurs et Greffiers seront exercées sur des Commissions scellées de notre grand Sceau que nous ferons expédier par le Secrétaire d'État ayant le Département de la Guerre à ceux que nous aurons choisis pour les remplir ».

1678 - Pourvoi en cassation

Huit ans plus tard, Louis XIV, estimant que, sur les jugements de compétence et dans les procédures et instructions faites en conséquence par les prévôts ou juges présidiaux, des erreurs d'appréciation pourraient être commises, accorda à ses sujets un moyen de se pourvoir contre de tels jugements ou procédures. Dans une déclaration du 23 septembre 1678 (3) , le roi prescrivait à son grand conseil de recevoir les requêtes en cassation. À ces requêtes, l'accusé devait joindre la copie du jugement de compétence et sa copie d'écroue certifiée par le juge des lieux.

La procédure n'étant pas suspensive, le roi, pour permettre aux accusés de rapporter les sentences de compétence, exigeait qu'elles leur soient signifiées sur le champ et qu'ils leur en soit laissé copie dont voici le modèle :

Sentence qui déclare un Prévôt des Maréchaux compétent.

Es Gens tenans le Siége Présidial au Châtelet de Paris : A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut.
Sçavoir faisons que vû les charges & informations faites par le Prévôt des Maréchaux de.... à la requête de C.... plaignant demandeur & accusateur contre D.... défendeur & accusé le....(date) Nous, après que ledit D.... a été oui en la Chambre du Conseil & attendu qu'il s'agit de....(motif de la compétence) avons par jugement dernier, déclaré ledit Prevôt compétent pour faire & parfaire le procès audit D.... & le juger en dernier ressort & sans appel; auquel jugement ont assisté :
A.... Préfident, B..., E..., G..., O..., R..., H... Conseillers.
Jugé le ....(date) Signatures....

Le pourvoi ne concernait que le jugement de compétence et la procédure qui en découlait. Le conseil ne pouvait pas se prononcer sur la régularité des procédures faites par les prévôts des Maréchaux ou présidiaux avant le jugement de la compétence ni sur la valeur du jugement.

Les prévôts des Maréchaux étaient des officiers d'épée peu ou pas formés au droit. Pour compenser cette lacune, les rois leur avaient adjoint des officiers de robe(1) diplômés en droit. La force et le droit étaient réunis pour être en capacité d'appréhender les malfaiteurs et les juger. Les juridictions ordinaires, pour lesquelles on avait exigé de ces magistrats d'être licenciés, ne se satisfaisaient pas de ce bicéphalisme, notamment par la voix délibérative qu'avaient les prévôts des Maréchaux, vice-baillis, vice-sénéchaux et lieutenants criminels de robe courte, encore que ces derniers étaient diplômés dans le jugement des procès de leur compétence instruits par eux, leurs lieutenants ou Assesseurs. Un arrêt du Conseil du 29 septembre 1693 rappelait cette prérogative aux officiers des présidiaux et autres sièges « de les y troubler à peine de mille livres d'amende & de tous dépens dommages & intérêts ».

Notes

(1) Nous n'en ferons pas le détail ici, mais pour plus d'informations nous invitons nos lecteurs à visiter le dossier composition d'une compagnie de maréchaussée.


(1) Ordonnance d'août 1670 dite ordonnance criminelle.

(2)Édit d'août 1679 portant réglement général sur les duels.

(2) Déclaration du 23 septembre 1678 en forme de règlement sur les récusations, jugements de compétence, & cassation des sentences et procédures des prévôts des maréchaux.

1731 - Déclaration de Marly

Aussi complète et précise qu'elle fût pour son époque, l'ordonnance criminelle de 1670 n'avait cependant pas atteint le niveau de perfection nécessaire pour régler définitivement les conflits de juridiction entre les juges ordinaires et les prévôts des maréchaux. Cette situation faisait le jeu des coupables qui profitaient de cette mésentente pour se procurer l'impunité et retarder leur jugement, ce qui allait à l'encontre d'une procédure qui se voulait prompte. Pour pallier ce défaut, plusieurs dispositions furent prises par des édits particuliers pour régler au cas par cas les difficultés qui apparaissaient au fur et à mesure de son application. Cependant, malgré ces rectificatifs, l'expérience en révéla plusieurs autres auxquelles il fallut apporter une solution. C'est se que fit Louis XV qui, dans une déclaration du 5 février 1731, jugea à propos « de réunir dans une seule Loi, toutes les dispositions des Loix précédentes sur les Cas Prévôtaux, & sur le pouvoir des Officiers qui en ont la connoissance » et afin que celle-ci soit parfaitement claire et précise, le roi y introduisait « plusieurs dispositions nouvelles, soit pour expliquer plus exactement & la qualité des personnes, & la nature des Crimes qui sont de la compétence des Prévôts des Maréchaux, soit pour décider les questions qui se sont souvent présentées sur le concours du Cas Prévôtal & du cas ordinaire, ou sur d'autres points également dignes de notre attention. »

Louis XV

Après l'ordonnance de mars 1720(1) qui réorganisait la maréchaussée, une définition plus précise des compétences des prévôts des maréchaux s'imposait. La déclaration du 5 février 1731(2) distinguait deux sortes de cas. Les uns, appelés prévôtaux par la qualité de l'accusé (ratione personae), les autres, prévôtaux par la nature du crime (ratione materiae). Cette classification, modifiait les pouvoirs du prévôt de sorte que pour les crimes liés à la qualité de la personne, il pouvait se saisir de l'affaire en tout temps et en quelques lieux où l'infraction avait été commise, même dans les villes de leur résidence, alors que suivant la nature du crime, leur compétence ne pouvait s'exercer que si le crime était commis ailleurs que dans les villes de leur résidence.

Cas prévôtaux par la qualité des accusés

Cette nouvelle loi permettait aux prévôts de juger, quel que soit le crime, les personnes désignées dans les articles I, II et III au nombre desquels :

  1. Les vagabonds et gens sans aveu (sous ce nom était compris, suivant la déclaration, non seulement ceux qui n'avaient ni profession, ni métier, ni domicile certain, ni bien pour subsister et qui ne pouvaient justifier de leur bonnes vie et mœurs par personne digne de foi, mais encore les mendiants valides qui étaient pareillement sans aveu. Était exclu de cette liste les travailleurs saisonniers comme les vendangeurs, les moissonneurs après la récolte, les travailleurs itinérants ...(déclaration du 18 juillet 1724 art 11),
  2. les personnes condamnées à une peine corporelle, une peine de bannissement, d'amende honorable (la déclaration ajoute que les prévôts ne pouvaient prendre connaissance de l'infraction de Ban que lorsqu'ils avaient prononcé eux-mêmes la peine du bannissement),
  3. les gens de Guerre, lorsque les crimes étaient commis dans les lieux d'étape, d'assemblée ou de séjour pendant leur marche, mais pas dans leur garnison,
  4. les déserteurs ainsi qu'aux fauteurs et subornateurs (instigateur) même s'ils n'étaient pas gens de guerre.

La déclaration, qui précisait que la connaissance des crimes commis par les personnes ayant la qualité ci-dessus restait du domaine spécifique des prévôts, excluait cependant de leur compétence, non seulement les ecclésiastiques comme le prévoyait l'Ordonnance criminelle, mais aussi les Gentilshommes (même s'ils avaient déjà été condamnés à des peines corporelles, bannissement ou amende honorable), les secrétaires du Roi et les officiers de Justice dont les procès se tenaient à la Grand'chambre des parlements. Malgré cela, l'exclusivité prévôtale était si importante qu'elle privait les juges ordinaires d'un grand nombre de procès. C'est pourquoi cette loi précisait que, si parmi les accusés d'un même crime, il s'en trouvait un qui n'avait pas une des qualités ci-dessus, le prévôt ne pouvait qu'informer contre eux et devait les remettre aux juges ordinaires.

Les cas prévôtaux selon la nature du crime

La déclaration recensait cinq cas prévôtaux selon la nature du crime.

  1. Le vol sur les grands chemins(1) de la campagne ;
  2. le vol avec effraction, port d'armes et violences publiques ;
  3. Le sacrilège avec effraction ;
  4. Les séditions et émotions populaires ;
  5. La fabrication, altération ou exposition de fausse monnaie.
Modifications apportées à l'ordonnance criminelle

Comme on peut le constater, il existe un certain parallèle entre les articles de l'ordonnance de 1670 et ceux de la déclaration de 1731, cependant, alors que cette dernière loi renouvelait les dispositions de la première sur certains points, elle apportait plusieurs changements sur d'autres, dont voici les principaux.

  1. Le crime d'assassinat prémédité ne figurait plus dans la déclaration alors qu'il était expressément énoncé dans l'ordonnance.
  2. Étaient exclus du terme grand chemin les rues des villes et faubourgs, qui, suivant l'ordonnance, étaient réputés tels ;
  3. Les vols avec effraction étaient maintenus, mais pour être un cas prévôtal, ils devaient être commis avec une des deux circonstances aggravantes suivantes :
    1. le vol devait être commis avec port d'armes et violence publique,
    2. ou sans port d'armes et violences publiques, mais avec effraction (forcement de murs, de clôture, bris du toit, porte ou fenêtre extérieure de la maison).
  4. Le sacrilège avec effraction devait également répondre des circonstances aggravantes exigées pour le vol avec effraction ;
  5. Contrairement à l'ordonnance, qui autorisait les prévôts des Maréchaux à connaître généralement tous les cas prévôtaux du moment que ces cas étaient commis hors des villes de leur résidence sans les distinguer par la nature du crime ou par la qualité des accusés, la déclaration permettait au prévôt, par la qualité des accusés, de prendre connaissance des crimes commis dans le lieu de leur résidence. À l'inverse, la même loi établissait en faveur des présidiaux la connaissance des cas prévôtaux, tant par la nature du crime que par la qualité des accusés, lorsqu'ils étaient commis dans l'étendue des bailliages où ces présidiaux étaient établis.

La diminution des cas prévôtaux tels que décrits dans l'Ordonnance criminelle est due principalement aux notions de renouveau et d'actualisation portée par l'ordonnance de 1720. Elle ne se contentait plus d'une simple description des cas prévôtaux, mais établissait une nouvelle approche qui consistait à instaurer des idées de portée plus générales, ainsi celle de la qualité des accusés et celle de la nature du crime.
Au titre de cette évolution, on notera aussi le cas de l'assassinat prémédité qui devient un cas royal. Pour relever de la compétence du prévôt, les éléments constitutifs de certaines infractions furent renforcés comme nous l'avons évoqué pour le vol avec effraction ou le sacrilège avec effraction.

Si cette déclaration précisait clairement les cas prévôtaux, elle donnait malgré tout la prédominance aux baillis et sénéchaux. En effet, elle leur permettait non seulement de connaître les cas prévôtaux par leur nature lorsqu'ils étaient commis dans les villes de leur résidence et des cas prévôtaux par la qualité des accusés lorsque ceux-ci étaient ecclésiastiques, gentilshommes et autres exceptés, mais encore elle leur accordait la préférence dans le cas d'une accusation qui mêlerait cas prévôtal et cas ordinaire lorsque ces baillis et sénéchaux, ou même les autres juges ordinaires qui leur étaient subordonnés, avaient informé ou décrété avant les prévôts des Maréchaux ou le même jour.

De leur côté, les prévôts des Maréchaux avaient des avantages particuliers qui leur étaient attribués par cette même loi. Citons le cas prévôtal par la qualité des accusés qui concerne les déserteurs de l'armée, leurs fauteurs et subornateurs, quand bien même ces derniers n'étaient pas Gens de Guerre. Dans ce cas, les prévôts, à l'exclusion non seulement des baillis et sénéchaux, mais encore des présidiaux et de tous autres juges, étaient les seuls à en connaître.

Les autres spécificités de cette déclaration concernaient les cas non prévôtaux et les duels. Pour les premiers, la déclaration permettait aux prévôts de connaître et juger prévôtalement certains cas ordinaires lorsque l'accusé, chargé d'un cas prévôtal, était également accusé d'un cas ordinaire. Cette possibilité, qui leur était interdite avec l'ordonnance de 1670, fut cependant soumise à quelques restrictions dont celle d'absence de plainte ou d'information faite par un juge ordinaire ou bien qu'une instruction pour le cas ordinaire ne se trouvât pas pendante dans les Cours de Parlement. Pour les seconds, touchant le cas particulier des duels qui était un cas royal, les prévôts pouvaient les connaître concurremment et par prévention avec les baillis et sénéchaux, mais ils ne pouvaient les juger qu'à la charge de l'appel. Ce pouvoir leur avait déjà été attribué par l'article 19 de l'édit de 1679. La déclaration de 1731, en confirmant la disposition de cet édit, ajoutait que les jugements, soit préparatoires, interlocutoires ou définitifs qui interviendr[aient] à ce sujet ne pourr[aient être rendus qu'au nombre de cinq juges au moins.

Notes

(1) On désignait sous le nom de voleurs de grand chemin les malfaiteurs qui tendaient des embuscades aux passants empruntant les chemins pour les voler. Cette qualification supposait une agression à la suite d'un guet-apens, ce qui excluait par exemple les vols simples commis entre voyageurs dans une même voiture ou un vol commis entre particuliers qui voyageaient ensemble.
Le terme de grand chemin était un terme général qui incluait aussi toutes les voies attenantes aux grands chemins et toutes celles qui servaient aux passants et voyageurs.


(1) Ordonnance du 16 mars 1720 concernant la subordination et la discipline des maréchaussées.

(2) Déclaration du 5 février 1731 sur les cas prévôtaux ou présidiaux.

LES RÉGLES DE PROCÉDURE

Les circonstances dans lesquelles le prévôt des maréchaux pouvait intervenir ayant été précisément définies, l'ordonnance criminelle et la déclaration de février 1731 s'attachèrent à préciser les règles de procédure depuis l'arrestation de l'accusé jusqu'à son jugement définitif.

Pour être reconnu : jugement en dernier ressort, les jugements prévôtaux devaient satisfaire à toutes les obligations de procédure prescrites par les ordonnances, seules garanties capables de leur donner ce caractère. Si ces formalités n'étaient pas strictement respectées, le jugement, qui auparavant était déclaré nul suivant l'ordonnance criminelle, étaient reconnus simple jugement à la charge de l'appel suivant la déclaration de 1731.

Arrestation et interrogatoire de l'accusé

Aussitôt arrêté, l'accusé pris en flagrant délit ou poursuivi par la clameur publique subissait une fouille. Un inventaire de l'argent, vêtements, chevaux et papiers trouvés en sa possession était réalisé en présence de deux habitants les plus proches du lieu de la capture qui devaient signer l'inventaire ou porter la mention de leur refus. L'inventaire et les effets devaient être remis dans les trois jours au greffe du lieu de la capture à peine d'interdiction à temps contre le prévôt, dépens, dommages et intérêts des parties et de cinq cents livres d'amende applicable moitié envers le Roi et l'autre envers la partie (Ordonnances de Moulins, de Blois, ordonnance criminelle ).

Le prisonnier était ensuite conduit par le prévôt des Maréchaux ou son lieutenant, dans la prison du lieu de la capture ou, à défaut, dans la prison la plus proche dans les 24 heures au plus tard. Il leur était défendu de retenir le prisonnier chez eux ou ailleurs que dans les prisons sauf en cas de péril d'enlèvement du prisonnier ou autre péril grave sous peine d'être privé de leurs charges, de 1000 livres d'amende et des dommages et intérêts des parties (ordonnance de 1670).

La question

Dans les vingt-quatre heures suivant son arrestation, l'accusé était interrogé par le prévôt en personne qui devait lui notifier qu'il entendait le juger prévôtalement et sans possibilité d'appel et en faire mention dans l'interrogatoire. Tous les actes d'instruction réalisés par le prévôt se faisaient en dehors de l'arrestation, en présence de l'assesseur (1) de la maréchaussée. Cette déclaration et cette mention étaient si essentielles que, faute d'y avoir satisfait, les prévôts des maréchaux ou lieutenants criminels ayant procédé à l'interrogatoire étaient non seulement condamnés aux dommages et intérêts de la partie, mais outre la nullité de la procédure, l'affaire leur était retirée et confiée aux baillis ou sénéchaux dans le ressort desquels le crime avait été commis pour être alors jugée à la charge de l'appel.

Si au cours de ce premier interrogatoire, le prévôt s'apercevait que l'accusé ne relevait pas d'un cas prévôtal, il devait le renvoyer dans les vingt-quatre heures devant le juge du lieu du délit, dans le cas contraire, il devait dans les trois jours saisir le juge du présidial pour juger de sa compétence. Sans ce jugement de compétence, le prévôt ne pouvait procéder à l'instruction de l'affaire.

Notes

(1) C'était au prévôt ou à son lieutenant et non à l'assesseur à dicter au greffier les informations et résultats de l'interrogatoire. La présence de l'assesseur était motivée par la qualité des prévôts des Maréchaux qui, étant réputés être officiers militaires et non lettrés, avaient besoin du secours d'un homme de loi pour veiller à la régularité de la procédure et conformément à l'ordonnance.

Le jugement de compétence

Pour faire juger sa compétence au présidial dans le ressort duquel la capture avait été faite ou le crime commis, le prévôt devait, pour cet effet, faire porter les charges et informations à la chambre du Conseil et y faire conduire l'accusé pour être entendu en présence de tous les juges. Après l'avoir entendu, le jugement était rendu par un collège de sept juges aux nombres desquels l'assesseur, qui assurait la fonction de rapporteur, et le prévôt (1) lui-même. L'assesseur ni aucun autre officier de Maréchauffée ne pouvaient opiner à un jugement de compétence. Il était prononcé sur le champ à l'accusé et devait figurer dans le procès-verbal dressé par le greffier. Il était signé par l'accusé ou portait la mention de son refus. La minute de ce jugement devait comporter obligatoirement les motifs sur lesquels les juges s'étaient appuyés pour se prononcer et l'infraction précise que les juges estimaient être applicable à l'accusé pour décider d'un cas prévôtal ou non. Elle était obligatoirement signée par les sept juges à peine d'interdiction d'exercer, de 500 livres d'amende envers le Roi et des dommages et intérêts des parties. Une copie était remise sur le champ à l'accusé.

Dans le cas où le tribunal déclarait le prévôt incompétent, l'accusé était transféré dans les prisons du juge du lieu du délit. Le transfèrement devait avoir lieu dans les quarante-huit heures après le jugement de compétence à peine d'interdiction, d'amende et de dommages et intérêts contre le prévôt. Dans le cas contraire, le prévôt était tenu de procéder immédiatement à l'instruction du procès dans le même présidial. Cette instruction faite d'informations, d'interrogatoires, de confrontations, de récolementsvoir glossaire ne différait des autres instructions criminelles que par le fait de la présence du prévôt tenu de se faire assister dans tous ses actes par un assesseur ou un conseiller du siège.

Notes

(1) Lorsque le prévôt assistait au jugement de ses procès, il pouvait se présenter botté, éperonné et l'épée au côté.

Le procès prévôtal

À l'issue de toute cette procédure se tenait le procès définitif dit prévôtal. L’ordonnance criminelle prescrivait, pour ce jugement, les mêmes formalités que pour un jugement de compétence ( à savoir : l'interrogatoire préalable de l'accusé, le nombre de magistrats, l'obligation qui leur était faite de signer la minute du jugement). Tous les jugements prévôtaux (soit définitif, soit ceux de compétence) étaient intitulés du nom du prévôt ou de son lieutenant (disposition particulière de la déclaration du 28 mars 1720).

Quatre points particuliers distinguaient ce dernier jugement :

Au jugement des procès prévôtaux, les prévôts avaient séance et voix délibérative après celui qui présidait la séance et leurs lieutenants après le doyen soit qu'il préside ou non. C'était le président du présidial ou premier officier du siège qui devait présider ce genre de procès et en leur absence l'officier le plus ancien dans l'ordre hiérarchique. Les officiers de maréchaussée ne pouvaient jamais présider.

Les prévôts des Maréchaux ou leurs lieutenants devaient assister avec les assesseurs aux exécutions des condamnés à mort ainsi qu'aux amendes honorables qui devaient être faites en leur présence (Arrêt du Grand Confeil du 31 décembre 1636). Ils devaient, à cette occasion, dresser les procès-verbaux des dernières déclarations et testaments des condamnés à mort (Arrêt du Grand Confeil du 22 septembre 1655).

Après la promulgation de l'ordonnance de février 1731, due au chancelier d'Aguesseau et aux représentations du Parlement, les cas prévôtaux devinrent très rares. Chaque siège prévôtal rendait un à deux jugements par an.

Notes

(1) On appelait question la séance de torture que l'on faisait subir à un accusé pour lui arracher l'aveu de son crime. Elle se pratiquait par le feu, le fer et l'eau. On distinguait deux sortes de questions :
A. La question préparatoire qui était autorisée lorsqu'une condamnation à mort avait été prononcée, mais que les preuves n'étaient pas suffisantes. Elle sera abolie par Louis XVI dans une déclaration du 24 août 1780.
B. La question préalable qui était appliquée au condamné à mort juste avant son supplice afin de le contraindre à révéler le nom de ses complices. Elle sera abolie par Louis XVI par déclaration du 1er mai 1788.

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FIN DES JURIDICTIONS PRÉVÔTALES

La juridiction prévôtale tenait une place importante dans l'organisation judiciaire du royaume. Souvent critiquée pour ses jugements sans appel, fréquemment en conflit avec la justice ordinaire, elle se heurta également à l'opposition des Parlements. Cette justice, les Français n'en voulaient plus et avaient demandé sa suppression lors de la réunion des états généraux.

Cependant, sa disparition ne fut pas immédiate. L'assemblée hésitait devant une mesure qui serait définitive. Face à un pays en proie à l'instabilité et au désordre, l'institution qui avait été grandement améliorée bénéficiait d'une longue expérience. Elle avait su mettre un frein à la criminalité face à l'impuissance des baillis et des sénéchaux et s'était montrée seule capable d'assurer le maintien de l'ordre et la répression des crimes jusqu'aux points les plus reculés du royaume.

Ce fut dans des circonstances un peu particulières que son sort fut examiné. De violentes échauffourées venaient d'avoir lieu dans le Limousin et les fauteurs de troubles devaient y être jugés prévôtalement. Les faits ayant été travestis, les malfaiteurs, appuyés par quelques notables revanchards, qualifiaient leur action de révolutionnaire. Lesdits représentants du peuple pressèrent l'assemblée d'intervenir et lui demandèrent que le prévôt ne puisse juger les accusés. L’Assemblée constituante décida simplement par un décret provisoire du 6 mars 1790 de suspendre toutes les procédures prévôtales. Le 30 mars, elle revint sur sa décision et déclara qu'elle n'incluait pas dans ses dispositions « les jugements d'absolution et ceux qui prononçaient un plus ample informé avec la clause de liberté et d'élargissement provisoire ». Le 3 avril, elle ordonna d'élargir les jugements aux personnes qui n'avaient pas encouru de peine afflictive. Pour les autres condamnés, la loi du 24 décembre 1790 – 5 janvier 1791 leur permit de porter l'appel devant l'un des tribunaux de district conformément à la volonté de l'Assemblée nationale qui voulu que la justice criminelle puisse bénéficier de deux degrés de juridiction.

Toutes ces dispositions furent renforcées par la loi des 16-24 août 1790 qui institua les juges de paix et abolit tout privilège de juridiction. La conséquence de cette loi fut celle votée les 6, 7 et 11 septembre 1790 qui supprima expressément la prévôté de l'hôtel, la juridiction prévôtale, le siège de la Connétablie, le tribunal des Maréchaux de France, tous les anciens tribunaux et la juridiction des monnaies. Désormais tous justiciables de ces juridictions, relevaient soit des tribunaux civils de district, soit des tribunaux militaires organisaient par la loi des 22 septembre-29 octobre 1790.

Au nom de la séparation des pouvoirs et pour prévenir tout retour, la réunion des pouvoirs de police et de justice fut proclamée incompatible par le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV (art.15).

LES JURIDICTIONS D'EXCEPTION

Selon les lois de l'An III et de l'An IV

Peu après la suppression des tribunaux prévôtaux, les révolutionnaires mirent en place des tribunaux criminels distincts, séparés des tribunaux civils et des cours d'appel. Ils étaient composés de juges et de jurés à l'identique des cours d'Assises.

Chauffeurs

La gestion de ces formations s'avéra très vite un obstacle au bon déroulement des affaires criminelles qui ne pouvaient plus se dérouler dans des délais raisonnables. Cette extrême lenteur profita au premier chef, aux malfaiteurs. L'assemblée se retrouva très vite confrontée au fléau du brigandage qui dévastait le pays. Il était dû à plusieurs facteurs. L'instabilité sociale et politique profitait pleinement aux voleurs et vagabonds qui courraient les routes. Les chouans et Vendéens sans emploi depuis la fin de la guerre civile ravageaient les grands chemins. Les soldats licenciés, sans solde, se mêlèrent aux vagabonds, déserteurs et réfractaires pour se dédommager par pillage. Le malaise d'injustice et d'insécurité obligea la convention à prendre des mesures exceptionnelles. Par les lois du 30 prairial An III et 1er vendémiaire An IV, elle confiait aux tribunaux militaires le jugement des rebelles.

Malgré les réquisitions faites aux armées en complément du service de la gendarmerie, le brigandage continuait à sévir. À son tour, le directoire fut confronté au banditisme. Il dut affronter des brigands connus du nom de « chauffeurs ». Ces derniers pénétraient dans les maisons et après avoir tué les domestiques torturaient les maîtres en leur brûlant les pieds sur des charbons ardents afin de leur soutirer tout ce qu'ils possédaient. Il dut combattre les pillards qui dévalisaient les courriers et les malles, dépouillaient les voyageurs, rançonnaient les marchands. Par les lois du 26 floréal An V et du 29 nivôse An VI, ces crimes furent punis de mort. On revenait ainsi aux rigueurs des lois pénales de l'ancien régime. (Pour inciter les gendarmes à arrêter ces truands, la loi du 28 germinal An VI prévoyait dans son article 207 des récompenses).

La loi provisoire du 29 nivôse An VI ne fut pas renouvelée en l'An VIII, ce qui entraîna une nouvelle explosion du brigandage. La juridiction ordinaire se montra incapable à faire cesser les vols et les pillages. Les jurys craintifs absolvaient les brigands que les gendarmes au péril de leur vie avaient arrêté les armes à la main. Face à cette pleutrerie, des brigades entières donnèrent leur démission, augmentant ainsi le désordre.

À son tour, le Premier Consul s'attela à la tâche dans laquelle le directoire avait échoué. Par un arrêté du 29 pluviôse an VIII (18 février 1800) 200 brigades de gendarmerie furent établies dans l'ouest du pays. Le général Wirion fut chargé de l'inspection de toutes les forces de gendarmerie sur le territoire des 12e, 13e, 14e et 22e divisions. Il fit appliquer dans toute l'étendue de ces divisions un règlement établi en application de l'article 175 de la loi du 28 germinal An VI. Ainsi, tous les brigands pris les armes à la main, étaient jugés par une commission militaire en quarante-huit heures et fusillés.
Cette procédure efficace, mais expéditive et peu légale fit place à une juridiction d'exception régulière qu'institua la loi du 18 pluviôse An IX (7 février 1801) : les tribunaux spéciaux qui devaient juger sans le concours d'un jury.

Selon la loi du 18 pluviôse An IX
Brigands

Ces tribunaux spéciaux furent établis dans les départements où leur utilité était reconnue. Ils étaient composés du président et de deux juges du tribunal criminel, de deux citoyens nommés par le gouvernement et de trois militaires ayant au moins le grade de capitaine, en qualité de juges spéciaux. Comme dans la déclaration de 1731 sur les cas prévôtaux, la compétence de ces tribunaux était liée d'une par à la qualité des accusés tels que les vagabonds et gens sans aveu, les repris de justice, ainsi que le délit spécial de vagabondage; d'autre part à la nature du crime : vols sur les grands chemins; violences et voies de fait; vol dans les campagnes avec effraction ou avec port d'armes par deux personnes au moins. Leurs compétences furent petit à petit élargies aux crimes d'incendie, de fausse monnaie, d'assassinat en groupe, de rassemblement séditieux, menaces, excès et voies de fait contre les acquéreurs de biens nationaux...
S'inspirant de l'ordonnance criminelle de 1670, la loi de l'An IX revint à la règle suivant laquelle le prévôtal prend le pas sur le non prévôtal. Ainsi, si au cours du procès, on venait à reprocher à l'accusé d'autres crimes non prévôtaux, le tribunal spécial était compétent pour connaître de tous les faits.

Les victimes adressaient leur plainte soit au commissaire du gouvernement ou ses substituts, soit aux officiers de gendarmerie ou de police. Dès qu'il était saisi, l'officier de gendarmerie ou de police se transportait sur les lieux pour y dresser procès-verbal et décernait au besoin des mandats d'amener. Comme pour les prévôts en leurs temps, la procédure prévoyait l'envoi dans les vingt-quatre heures des pièces à conviction au greffe du tribunal, de dresser un inventaire des effets et des papiers trouvés sur le prisonnier et de procéder à son interrogatoire. Cependant, à l'inverse du tribunal prévôtal, le tribunal spécial était juge de sa compétence. Le jugement de compétence qui était signifié à l'accusé dans les vingt-quatre heures était transmis dans les mêmes délais au ministre de la Justice pour être soumis à la Cour de cassation qui vérifiait sa validité. Les jugements n'étaient susceptibles d'aucun recours, mais l'accusé était assisté d'un défenseur.

Ces juridictions d'exception furent renforcées par la création de nouveaux tribunaux spéciaux destinés exclusivement à connaître les crimes de contrefaçon. Ils furent installés dans chaque département conformément à la loi du 23 floréal an x (13 mai 1802). Organisés comme les premiers sans juré, ils étaient composés d'un président, de deux juges criminels et de trois juges civils. Leur compétence s'étendait sur la contrefaçon du sceau de l'État, des timbres officiels, des poinçons pour l'or et l'argent, des faux en écriture, des estampilles de l'État...

Finalement, l'ensemble de ces tribunaux d'exception ne tardèrent pas à montrer leur efficacité. Face à la promptitude et à la sévérité des jugements, les brigands découragés faisaient leur soumission. Au cours des travaux préparatoires du Code d'instruction criminelle, la question du maintien de l'ensemble de ces tribunaux agita fortement les débats. La justice ordinaire ayant fait la preuve de son impuissance, ils furent institués dans le Code de 1808 sous le nom de cours de justice criminelle spéciales. Pour assurer le fonctionnement de ces cours, une loi du 20 avril 1810, prescrivit de nommer tous les ans, six officiers de gendarmerie pour y faire le service.

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LES COURS PRÉVÔTALES SOUS LA RESTAURATION

Selon la Charte constitutionnelle

Lorsque Louis XVIII monta sur le trône de France le 6 avril 1814 et publia la Charte constitutionnelle, il supprima, suivant les articles 59 et 63, ces juridictions spéciales. Il les fit passer dans les attributions des cours d'Assises. Il se laissa malgré tout la possibilité de rétablir les juridictions prévôtales qui procédaient sans assistance de jurés, à propos de crimes qui leur sont privativement attribués et sans possibilité d'appel. Cette éventualité était justifiée par l’existence d'hommes, considérés depuis toujours, placés hors du droit commun ou pour lutter plus efficacement contre un petit nombre de crimes qui apportaient le plus grand trouble à la société.

Louis XVIII

Après les cent jours et devant l'incertitude politique, Louis XVIII recréa en vertu de l'article 65 de la Charte constitutionnelle, les cours prévôtales qui devaient avoir une existence momentanée. Elles furent instituées par la loi du 25 décembre 1815 sur les bases de l'ancienne juridiction prévôtale et de la juridiction des cours spéciales qui existaient depuis l'an IX. Elles avaient été instituées pour faire face à une situation d'exception, mais aussi pour contrer l'état de défiance générale qui s'était installé à l'égard du pouvoir. Lorsque les lois ne suffisent plus, les gouvernants ont recours à ce moyen si souvent employé et qui consiste à retirer à un jury la connaissance de cas qui lui sont normalement attribués pour les confier à des tribunaux d'exception.

Les cours prévôtales

Il fut institué une cour prévôtale par département qui siégeait ordinairement dans le même lieu que la cour d'assises. Elle pouvait cependant, sur des faits motivés, se transporter en d'autres lieux du département.

Composition

Ces cours étaient composées d'un président et d'un prévôt nommés par le Roi et de quatre juges dont l'un était chargé de remplir les fonctions d'assesseur. Les juges étaient désignés annuellement par le premier président de la cour royale. Le juge prévôtal, le président et les quatre juges étaient choisis parmi les membres du tribunal de première instance du lieu. Le prévôt devait être un officier de l'armée de terre ou de mer ayant le grade de colonel et âgé d'au moins trente ans. Les fonctions de ministère public et de greffier étaient remplies par les procureurs du Roi et greffiers du tribunal de première instance du lieu. Les présidents et les prévôts prêtaient serment avant d'entrer en fonction.

Préséance

Les membres de cette cour prenaient rang suivant leur ancienneté au tribunal de première instance. Le prévôt, étant le premier juge de la cour, siégeait à la droite du président. En cas d'empêchement légitime, les juges étaient remplacés par d'autres juges du tribunal. Le prévôt était remplacé par le commandant de gendarmerie du département (l'équivalent du commandant de groupement de gendarmerie actuel).

Sentence

Les condamnations, prononcées par les six juges de cette cour, n'étaient mises à exécution qu'au deux tiers des voix. En cas d'égalité, l'accusé était reconnu non coupable.

Rôle des prévôts

Suivant l'article 20 de cette loi, les prévôts étaient « spécialement chargés de la recherche et de la poursuite de tous les crimes dont la connaissance est attribuée aux cours prévôtales. » La loi prévoyait deux sortes de crime :

Compétence territoriale

La compétence de ces cours s'étendait aussi à toutes personnes accusées de crime d'assassinat ou de vol avec port d'armes ou violences commis ou tenté sur les grands chemins (sous le terme "grands chemins", le législateur entendait protéger la libre circulation des voyageurs dans les lieux écartés où la surveillance est toujours difficile, parfois impossible et l'établissement de la preuve du délit compliqué).

Suivant les principales dispositions de la loi du 25 décembre 1815, les prévôts furent établis en trois classes dont les traitements étaient : pour les 1res classes : 12000 francs; 2e classe : 10000 francs; 3e classe : 8000 francs. On choisissait vingt prévôts parmi les généraux et le complément parmi les colonels et capitaine de vaisseau. Le colonel Seignan de Serre, qui commandait la 13e légion de gendarmerie à Toulouse sous la première restauration, fut nommé le 10 janvier 1816, prévôt à la Cour prévôtale du Gard.

Cour prévôtale du Gard à Nîmes en 1816

Cour prévôtale de la Haute-Garonne à Toulouse en 1816 :

Indépendamment des crimes énumérés ci-dessus, ces cours prévôtales étaient un instrument de répression politique. Si le plus grand nombre d'entre elles firent preuve de modération, d'autres resteront tristement célèbres dans l'histoire de la Terreur Blanche. On dénombra de lourdes peines et de nombreuses condamnations à mort pour de prétendues conspirations. Les résultats de cette juridiction ne furent pas heureux. La partialité de certains juges et les arrêts expéditifs et démesurés de ces cours exécutés dans les vingt-quatre heures ne faisaient que renforcer l'exaspération envers le Roi. L'existence de cette juridiction ayant été limitée par la loi à la fin de la session de 1817, le Gouvernement reconnaissant les fâcheux effets qu'elle avait produits renonça à prolonger son maintien et elles disparurent le 1er janvier 1818.

Si les juridictions d'exception de l'ancien régime et celles qu'institua la loi du 18 pluviôse An IX avaient été sans contexte un instrument de défense sociale, les Cours prévôtales de 1815 revêtaient le caractère de tribunal politique. Aussi, ces Cours doivent-elles occuper une place à part, non seulement dans l'histoire de nos institutions judiciaires en général, mais encore dans celle de la justice prévôtale elle-même.

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