GENÈSE ET CRÉATION DE LA PRÉVÔTÉ

Origine de la maréchaussée
Antécédents historiques
Contexte politique sous les Valois
Naissance de la maréchaussée

Quelle est l'origine des prévôts des maréchaux ? Quelles sont les circonstances particulières qui ont conduit les rois de France à créer cette force de police et à la maintenir jusqu'à la révolution ? Comment cette force, initialement établie sur la bonne volonté d'habitants auxquels on avait donné la possibilité de s'opposer au crime par les armes, a-t-elle pu se maintenir, se développer et s'imposer ?
En s'appuyant sur des éléments historiques, ce dossier a pour objet d'apporter quelques éléments de réponse à ces questions.

ANTÉCÉDENTS HISTORIQUES

Le modèle romain
Soldat romain

Lorsque Rome étendit sa toute-puissance sur les Gaules, elle s'y installa avec sa technologie, mais bien plus encore, elle y imposa son administration dont de nombreux principes régissent encore notre quotidien. Plus tard, quand nos premiers rois barbares s'établiront sur les ruines d'une partie de cet immense empire, ils abandonneront leurs pratiques tribales pour adopter les lois et coutumes romaines, déjà bien ancrées dans les Gaules, afin de se bâtir un royaume.

Dans leur nouvelle administration, nos rois conservèrent la protection des routes et des campagnes comme le faisaient les Romains. Ces derniers avaient mis sur pied des petites unités militaires pour les protéger des voleurs qui profitaient des guerres civiles pour piller la campagne italienne. En s'installant dans les Gaules, ils ont introduit ce principe et l'ont appliqué aux voies gauloises et à leurs propres voies afin de protéger leur commerce et d'assurer l'ordre et la sécurité à l'intérieur des territoires conquis.

C'est sous l'empereur Auguste que ces milices furent déployées dans les campagnes. Plus tard, ce prince installa de façon durable des postes militaires le long des routes. Son successeur Tibère conserva ce dispositif et le renforça en augmentant le nombre de postes commandés par un « préposé ». Provisoire dans un premier temps, cette activité devint perpétuelle au point d'être rendue ordinaire par les lois. Les officiers désignés pour exercer ce commandement furent appelés «latronculatores» ou juges des brigands. Ils étaient chargés de patrouiller dans la campagne pour arrêter et interroger les malfaiteurs avant de les remettre au juge des lieux. Ainsi ce magistrat qui se retrouvait en charge de la tranquillité publique, avait toute autorité sur ces soldats pour y parvenir.

Les Francs maintiennent l'institution

Clotaire II confia en l'an 615 cette fonction à ses comtes qu'il établit comme gouverneurs et juges des provinces. Il les chargea des mêmes obligations que les magistrats romains. Dagobert en 630, Charlemagne en 650, son fils Louis Ier-Le pieux, son petit-fils Charles II-Le Chauve maintiendront ces prérogatives et permettront aux comtes d'armer les habitants pour leur prêter main-forte.

Ces dispositions furent maintenues par nécessité sous les règnes des premiers Capétiens. En effet, occupés à consolider leur pouvoir royal, ils n'entendaient pas le fragiliser davantage en remettant en cause des droits instaurés de longue date. L'affaire du grand sénéchal qui se déroula sous Philippe II Auguste (1180 - 1223) devait cependant modifier durablement la répartition de ces pouvoirs entre le roi est ses vassaux. Pour renforcer son autorité royale, Philippe II renonça à la nomination d'un nouveau titulaire à la charge de grand Sénéchal et réparti les pouvoirs de cet officier unique en autant de petits pouvoirs que d'officiers qu'il créa et installa dans les provinces pour le représenter. Ces nouveaux officiers, aux pouvoirs limités, furent désignés sous le nom de baillis (pour le nord) et sénéchaux (pour le sud). Dans le ressort de leur district, ils avaient des pouvoirs militaires sur le ban et l'arrière-ban, des pouvoirs de justice qu'ils rendaient au nom du roi et des pouvoirs monétaires qu'ils exerçaient en collectant l'impôt.

Ces pouvoirs répartis, Philippe Auguste commissionna en 1218 son connétable (1) pour conduire ses troupes à la bataille. L'autorité militaire attachée à ce commandement donnait de fait à celui qui en était investi, des pouvoirs judiciaires pour obtenir de ses subordonnés : obéissance, loyauté et discipline. L'étendue plus ou moins remarquable de ces pouvoirs permettant de fixer précisément la place de chacun dans un système hiérarchisé, il est évident que ceux liés à la dignité de connétable étaient les plus importants, suivis en cela par ceux de ses lieutenants : les maréchaux de France. Ils seront définis et limités au fur et à mesure que la charge de ces hauts dignitaires prendra de l'importance et seront rassemblés et précisés dans un code de justice militaire connu sous le nom d'articles fondamentaux du siège de la Connétablie.

Notes

(1) Le connétable devint le premier officier militaire de la Couronne. Il a été à la tête de nos armées depuis Henri Ier vers 1030 jusqu'à Louis XIII en 1627. Quarante-deux connétables se sont succédé, certains comme Duguesclin se sont fait une belle renommée, sept furent tués sur le champ de bataille, plusieurs ont déshonoré nos armes par leur ineptie, d'autres comme Clisson se sont rendus célèbres par leurs violences et leurs déprédations, quatre trahirent et combattirent leur roi, deux furent exécutés de la main du bourreau, enfin Darmagnac fut massacré dans une émeute en 1418. La dignité de Connétable fut abolie par l'édit du 13 mars 1627.

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CONTEXTE POLITIQUE SOUS LES VALOIS

Vers une armée de métier

Jusqu'au début du XIVe siècle, lorsque les rois devaient livrer bataille à l'ennemi, ils levaient une armée constituée de troupes fournies par ses vassaux et de mercenaires, c'était l'ost royal. Une fois constitué, l'ost était commandé par le roi s'il était présent sur le champ de bataille ou par son connétable s'il ne s'y trouvait pas. Les différentes troupes, composant cette armée, étaient placées sous le commandement des vasseaux qui les avaient constitués et que le roi avaient fait mander pour la circonstance. Les officiers de ces unités plus ou moins importantes avaient chacun à leur niveau, des droits de justice qu'ils exerçaient pour maintenir l'ordre et la discipline sur les troupes qu'ils avaient constituées. Malgré le remarquable état de contrôle que ces seigneurs avaient sur les troupes pour leur paiement, ils n'étaient pas en mesure de pourchasser les déserteurs, les soldats débandés et ceux qui ne voulaient plus rentrer chez eux après la bataille. Leur activité guerrière terminée, ces vassaux, qui avaient rendu au roi le service des armes qu'ils lui devaient pour tenir de lui leur fief, rentraient dans leur comté et seigneurie laissant à leur troupe le soin d'en faire autant.

Charles V (1364-1380)
Généalogie Bataille de Poitiers

À la plaie des déserteurs et militaires quittant les rangs pour se livrer au brigandage, devait s'ajouter un autre fléau : celui des bandes. C'est ce qui arriva après la défaite et la capture de Jean II Le Bon par les Anglais à la bataille de Maupertuis en septembre 1356. Les soudards de se qu'il restait de son armée s'étaient constitués en de grandes bandes et continuaient de piller le pays pour leur propre compte.

À l'avènement de Charles V le phénomène était devenu incontrôlable. Les guerres incessantes entre les grands du royaume et contre les Anglais avaient tiré de leur labeur les paysans pour en faire des soldats. La paix de Bretagne conclue entre le roi de Navarre et le roi de France avait fait émerger une infinité de vagabonds qui ne recevant plus de solde ne pouvaient subsister s'ils ne retournaient pas à la charrue. Mais la vie libertine d'un soldat avait pour eux plus de charme que la vie pénible et réglée d'un laboureur. Préférant la première à la seconde, ils s'attroupèrent et s'abandonnèrent aux pillages des passants et villages pour subsister. Bien vite, ces pillards, appelés malandrins par la population, se regroupèrent en bande et se choisirent des chefs qui imposèrent une certaine discipline, les rendant redoutables dans l'organisation des pillages. Ces hordes furent alors désignées sous le nom de grandes compagnies. Ils ravageaient le royaume n'épargnant ni les maisons royales, ni les églises. La misère était universelle et la dépopulation générale. Les chefs de ces bandes étaient connus pour avoir été de valeureux guerriers dans les armées du roi, mais qui, la paix revenue, s'étaient retrouvés d'un seul coup sans emploi et sans biens de sorte qu'ils en étaient réduit au pillage. Ces compagnies, bien que séparées pour pouvoir agir à leur aise, avaient passé entre elles un pacte pour se secourir mutuellement ce qui les rendait invincibles.

Charles V

À cette impécuniosité, s'ajoutait la félonie du roi de Navarre et autre grand seigneur de la couronne qui avaient pris le parti de la guerre contre Charles V, plaçant sa souveraineté dans un état de faiblesse extrême. Pour soustraire le royaume à son malheur, le roi eut la chance de pouvoir compter sur de bons et loyaux capitaines au premier rang desquels un nommé Du Guesclin(1), mais la bravoure et le dévouement de cet homme ne l'emportaient pas sur la loyauté des autres. Charles V comprit que sa puissance militaire ne pouvait plus dépendre uniquement des troupes formées par ses vassaux et dont la durée à son service ne pouvait excéder quarante jours par an. Ce service militaire limité que le roi devait solder et qui n'avait ni unité ni stratégie au combat avait atteint ses limites. La seule façon d’exercer pleinement son autorité était d'avoir ses propres troupes, entraînées et parfaitement obéissantes, pour pouvoir les engager selon une stratégie mûrement réfléchie. Pour cela, il fallait abandonner le service d'ost pour retirer des mains de ses puissants vassaux le commandement de leurs troupes et en organiser d'autres qui seraient sous le commandement d'officiers de son choix.

C'est donc au milieu de ce désordre général et d'une guerre implacable contre les Anglais que Charles V élabora les premiers éléments de ce qui allait devenir l'armée de métier. Après avoir résolu la difficile question de son financement, il recruta d'abord ses troupes parmi les routiers(2) des grandes compagnies. Il les organisa en tourbes(3) de 100 hommes d'armes subdivisés au besoin en chambre(4). Le commandement de ces compagnies fut confié à des officiers que l'on désigna sous le titre de capitaine (cap : la tête; celui qui est à la tête). Seul le roi pouvait nommer à cet emploi et partant, accorder ce titre. Elles n'étaient plus commandées par les grands vassaux de la couronne, mais par des lieutenants, chef de Guerre, directement nommé par le roi. Il confia aux connétable et aux maréchaux de France le soin de faire appliquer avec rigueur ses ordonnances militaires.

La discipline de ces compagnies relevée des capitaines qui devaient veiller à réprimer les « désordres et pilleries » commis par leurs hommes. Avec une solde payée régulièrement, le roi entendait qu'une exacte discipline soit maintenue dans ses troupes et, afin que cette exacte discipline soit toujours respectée, les robeurs étaient sévèrement punis et dans l'obligation de réparer leurs méfaits. Le contrôle de ces compagnies fut confié aux maréchaux par l'ordonnance du 13 janvier 1373 donnée au bois de Vincennes. Ils devaient nommer « quatre lieutenants pour recevoir les monstres de toutes manières de gens », et les choisir parmi des gens « sages, idoines et experts, et jureront en nostre présence avant qu'ils usent de leurs offices ». Ces officiers n'avaient pas la charge de juger les méfaits des soldats, ils devaient remettre les coupables d'infractions aux juges royaux, les baillis et sénéchaux et autres juges inférieurs comme les prévôts royaux(5) et châtelains.

Avec un connétable, chef des armées, des maréchaux, des chefs de Guerre, des capitaines ayant sous leurs ordres des lieutenants et autres officiers particuliers ( enseignes, guidons, maréchaux des logis et des hommes d'armes) ), on vit peu à peu se dessiner les premiers éléments d'une hiérarchie purement militaire. Cette nouvelle doctrine était en totale rupture avec la hiérarchie féodale issue des titres des seigneurs et gentilshommes fieffés qui s'était imposée jusqu'alors suivant l'ancien droit et la coutume de la monarchie.

Charles VI (1380-1422)

Charles V dit « le Sage » mourut en septembre 1380. Son fils Charles VI, âgé de six ans lui succéda. Le conseil de régence créé par le feu roi et composé d'hommes sérieux fut cassé par les oncles du jeune roi, les ducs d'Anjou, de Berry et de Bourgogne qui se partagèrent le royaume et s'appliquèrent à détruire l'administration de Charles V. Le pays fut à nouveau livré aux exactions et à leurs folies. Avec les oncles du roi, la haute noblesse reprenait le pouvoir et cette réaction féodale allait bientôt livrer la France à l'Angleterre. En 1388, Charles VI ayant atteint ses vingt et un ans chassa ses oncles et reprit à son service les anciens ministres de son père. On pouvait espérer le rétablissement de l'ordre lorsque, en 1392, le roi tomba en démence. En peu de temps, le désordre fut au comble. Toute l'organisation militaire de Charles V disparut au milieu de cette anarchie et les vieilles idées féodales reprirent le dessus. Les seigneurs effrayés de voir le peuple armé, lui interdire de s'exercer au tir de l'arc ou à l'arbalète privant ainsi l'infanterie d'une arme puissance devenue indispensable pour combattre les Anglais.

Cette noblesse vaniteuse, qui redevenait la maîtresse de l'armée, n'avait cependant d'autre qualité que son courage, mais la puissance de ses lances n'était plus suffisante pour remporter les batailles. La tactique la plus élémentaire, les manœuvres les plus simples lui étaient inconnues. Cette arrogance et cette ignorance devaient nous conduire au désastre d'Azincourt.

La France retomba dans le chaos. Les troupes n'étaient plus soldées, la Cour préférant dépenser en fêtes et folles dépenses tout l'argent qui lui était destiné. À la place, elle accordait aux gens de guerre des lettres de vivres leur permettant de lever des prestations en nature. C'était un blanc-seing à la dépravation. Avec ou sans lettres le pays fut livré aux pillages, les hommes d'armes volaient, saccageaient, tuaient, brûlaient, foulaient le blé, détruisaient les récoltes comme s'il eussent été en pays ennemi. Les bandes de pillards prospéraient et ce ne furent pas les ordonnances de Charles VI interdisant leur formation qui, est-il besoin de le préciser, en vinrent à bout. Les alliances, les trahisons, les batailles et les profits personnels devaient mener la France dans l'abîme. Avec un roi fou, une reine de France perfide, un duc de Bourgogne, cousin du roi, traître envers son pays et sa famille, la France était livrée aux Anglais et perdait son indépendance. Henry V, roi d'Angleterre, s'installa au Louvre en 1420 et mourut en 1422. Son fils Henry VI lui succéda et fut proclamé roi de France à Paris. Charles VI « Le Fol » mourut en octobre 1422 et son fils Charles VII fut proclamé roi de France à Bourges.

Charles VII (1422-1461)

Ce jeune roi, plus affairé à satisfaire ses plaisirs qu'à reconquérir son royaume lui valut le titre de roi de Bourges que les Anglais lui avaient donné par dérision. L'armée, qui ne recevait plus un sou du Trésor, achevait de ruiner le pays par un pillage continuel. Sans le miracle de Jeanne d'Arc, la France était évidemment perdue. Jeanne avait brillamment accompli sa mission jusqu'à la reprise de Paris qui devait achever la délivrance de la France. Hélas, les intrigues politiques de Charles VII lui furent fatales. Face à l'histoire, la libératrice ne devait pas éclipser la puissance royale et ainsi mettre en évidence la lâcheté et la médiocrité de Charles VII qui avait laissé une fille des champs commander et vaincre à sa place. On usa de bien grands mensonges pour effacer son souvenir, mais, bien au contraire, son héroïsme resta à jamais gravé dans les mémoires.

Charles VII

Après son supplice, le 30 mai 1431 à Rouen, le constat est amer. Certes la guerre Franco-Anglaise, connue sous le nom de guerre de Cent Ans, a pris fin, mais la France est un pays ruiné, dévasté et rongé par la famine. La discipline qu'elle avait su imposer dans les troupes fit à nouveau place au chaos. Les gens de guerre non payés s'étaient à nouveau regroupés en bandes et, sous le commandement de capitaines issus de grandes maisons, se dédommageaient par le pillage, laissant derrière eux la mort et la misère. Les ravages causés par ces routiers s'étendirent dans les provinces du nord et du centre de la France. La réorganisation militaire, administrative et financière du pays devint la priorité absolue. Le désordre intérieur était tel que les réformes militaires s'imposaient par priorité. Les luttes intestines eurent finalement raison des traîtres et des profiteurs qui évoluaient dans l'entourage du roi et permirent au connétable de Richemont de mettre à exécution ses grands projets de réorganisation de l'armée.

Entouré d'hommes de talents, comme l'illustre Jacques Cœur dont la devise était « À cœur vaillant rien d'impossible », Charles VII le Bien Servi convoqua en 1439 les États généraux à Orléans. Excédés par tant de sauvagerie et de misère, ils accordèrent au roi une taille perpétuelle de 1 200 000 livres destinée à payer une armée permanente pour mettre fin aux pillages des gens de guerre licenciés après les batailles. Après soixante-cinq ans d'anarchie et de désastres, on revenait aux sages institutions de Charles V, on reprenait son œuvre et on allait rétablir tout ce que ce grand roi avait organisé et que la haute noblesse avait détruit.

Charles VII rendit alors l'ordonnance du 2 novembre 1439(1) qui renouvelait ainsi les termes de l'ordonnance de son grand-père de 1373. Elle avait pour but de rétablir la discipline dans l'armée et l'ordre dans le royaume. Le roi y prescrivait que désormais, le droit d'avoir une armée et celui de lever un impôt sur le peuple pour en assurer l'entretien et sa solde appartenait exclusivement à la couronne. En enlevant aux seigneurs ces deux droits régaliens qu'ils avaient usurpés autrefois, il rejoignait les vues de Charles V sur la suppression de l'ost destinée à affermir le pouvoir royal.

Pour créer cette armée, le roi négocia avec les bandes de brigands. Faute de pouvoir mettre fin à leurs agissements, il acheta les plus puissantes et les mit à son service. Le connétable de Richemont les composa avec ce qu'il y avait de meilleur parmi ces bandits qu'on appelait les Écorcheurs. Ainsi, il institua quinze compagnies(6) de grosse cavalerie qui seront mises sur pied à partir de 1444. Toutes formations de bandes en dehors de celles qu'il autorisait et soldait(7) furent interdites.

Gendarme fin 15e siècle

Les compagnies d'ordonnance(8) formaient ce qu'on appelait la gendarmerie(9), c'est-à-dire le corps des gens d'armes. Ces militaires appartenaient à la noblesse et les capitaines, qui commandaient ces compagnies, étaient de grands personnages exclusivement nommés par le roi. Peu à peu, les contingents féodaux disparurent de nos armées et toute la noblesse, pour le prestige et la solde, vint servir dans les compagnies d'ordonnance. On conserva cependant le droit de convoquer l’arrière-ban en cas de besoin urgent. La gendarmerie augmenta sous les règnes de Louis XI, de Charles VIII et de Louis XII.

À côté de la grosse cavalerie que constituaient les compagnies d'ordonnance s'organisa une cavalerie plus légère ouverte à tous les aventuriers, aux gens de noblesse incertaine et même de roture. L'armée de 60 000 hommes, que Charles VIII assembla en 1494 à Lyon, à Vienne et à Grenoble pour envahir l'Italie, comprenait 2500 gens d'armes ayant chacun à son service son page et 2 valets, en tout 10 000 hommes et 6000 hommes de cavalerie légère, c'est-à-dire moins pesamment armés.

La création de toutes ces unités, bien qu'enrégimentées et soldées, nécessita de protéger les populations contre cette force certe légale, mais encore foncièrement indisciplinée. Cette mission échue aux maréchaux de France qui furent chargés d'assurer la sécurité des campagnes et des grandes routes par l'intermédiaire des grands prévôts et des prévôts de provinces. On leur accorda initialement le droit de rendre une justice sommaire dans tous les cas de flagrant délit. Peu à peu réglementée, cette justice, qui parfois prit une extension considérable sous Louis XI, fut appelée justice prévôtale.


notes

(1) De petite noblesse, Du Guesclin était un homme brave et de tactique, il fut l'un des grands serviteurs de la couronne et son engagement sans faille fut récompensé par le roi qui lui donna le comté de Longueville et l'épée de connétable.

(2) On appelait compagnie de routiers des bandes armées formées de nobles dont la plupart étaient désargentés et de roturiers français et étrangers commandés par un chef. Ces bandes vendaient leurs services contre de l'argent. À cette époque, les étrangers venaient de Navarre, d'Allemagne, du pays de Galle ou d'Italie. Ces compagnies étaient utilisées pour renforcer les troupes levées par les grands seigneurs. C'étaient en quelque sorte des aventuriers, des soudards.

(3) En tourbe c'est-à-dire en foule, sans idée de rangement régulier.

(4) En chambre : en sous-groupe.

(5) Le titre de prévôt (præpositus, le préposé), qui est très ancien dans la monarchie franque, désignait d'une manière générale le suppléant d'un officier public. Ainsi, est-il parlé de prévôt de l'église qui désignait sous ce titre le chef d'un chapitre dans quelques cathédrales. Dans les grandes villes, ce titre était donné au chef de l'hôtel de ville sous le nom de prévôt des marchands qui avait une espèce d'autorité sur la bourgeoisie. Du point de vue judiciaire, on désignait sous le nom de prévôts royaux, les juges qui rendaient la justice du premier degré sous les directives des baillis et sénéchaux. Dans quelques provinces le prévôt royal fut appelé châtelain ; dans d'autres : vicomte et dans d'autres : viguier. Ces titres avaient été créés lorsque les ducs et les comtes, qui avaient été institués pour rendre la justice et administrer leurs provinces, en devinrent princes souverains et cessèrent d'être les « fonctionnaires » de la monarchie. Ils déléguèrent alors leurs anciennes fonctions à des officiers subalternes auxquels il fallut trouver des nouveaux titres.

(6) Chaque compagnie se composait de 100 lances. Chaque lance de 6 hommes. Lorsque la lance était complète, on la nommée lance fournie, elle était alors composée d'un chef (l'homme d'armes), d'un coustilier ou écuyer, d'un page, de deux archers à cheval et d'un valet de guerre. La compagnie comptait donc 600 hommes ce qui donnait 9000 hommes pour les 6 compagnies. Tous les hommes étaient à cheval et il y avait des chevaux supplémentaires pour les officiers, le charroi et les volontaires surnuméraires de sorte que le corps entier comptait 1500 lances avec 10 000 chevaux. L'homme d'armes était couvert d'une armure en plates de fer. Il était armé de la lance et de l'épée et portait une hache à l'arçon de la selle. L'homme d'armes seul portait la lance, Le coustilier avait une demi-pique et l'archer à cheval était armé de l'arbalète à cric. Les compagnies d'ordonnance formaient ce qu'on appelait la gendarmerie c'est-à-dire le corps des gens d'armes.

(7) La création de ces compagnies ne fit pas disparaître pour autant les Écorcheurs qui continuaient à vivre en bandes indépendantes et à dévaster le pays. En 1438, on estime à 20 000 leur nombre. Ils furent combattus sans relâche pendant des années et ce n'est qu'en 1445, après la mort de milliers d'entre eux et la maîtrise de ceux qui survivaient, que le connétable fit rendre l'ordonnance qui créait enfin une armée régulière et permanente.

(8) Établies en vertu d'ordonnances du roi, ces compagnies furent appelées « compagnie d’ordonnance » par opposition aux « compagnies de routiers » levées par les gentilshommes fieffés.

(9) Cette qualification de gendarmerie cessa sous Louis XI d'être un nom générique et ne fut plus applicable qu'aux combattants à cheval armés de pied en cap. Elle fut conservée toutefois aux compagnies d'ordonnance affectées aux maréchaux de France.


(1) Ordonnance du 2 novembre 1439 pour obvier aux pilleries & vexation des gens de guerre. Donnée à Orléans.

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NAISSANCE DE LA MARÉCHAUSSÉE

Des délégués pour le prévôt des maréchaux

La création de ces compagnies entraîna la création de toute une administration militaire pour gérer le personnel, la remonte, l'équipement, la solde, le logis, etc. Des inspecteurs furent établis pour passer en revue les compagnies. Ils devaient s'assurer de la présence de chaque soldat et démasquer les « passe-volant » pour le versement de la solde, vérifier la qualité de leur équipement, de leur monture, de leur armement. Ces inspecteurs étaient chargés de surveiller l'exécution des ordonnances et de transmettre les ordres du roi. La discipline à laquelle devaient se soumettre les lances fut d'une extrême rigueur. Les capitaines devaient répondre des actes délictueux de leurs subordonnés et Charles VII chargea le prévôt des maréchaux(1) de l'exécution de cette partie des ordonnances. Il lui commanda de veiller à la protection des populations contre tous les abus, injustices et autres brutalités que pourraient commettre les militaires de ces compagnies d'ordonnance. Avec la création de ces compagnies, le travail du prévôt des maréchaux, jusqu'alors limité aux périodes de guerre, devint permanent(2).

Louis XI prend l'initiative
Louis XI

La formation de ces compagnies n'avait pas pour autant rendu à la France sa quiétude. Des bandes de brigands armées continuaient à piller le pays et la vie criminelle des anciens routiers, devenus soldat du roi, n'avait pas disparu à la seule lecture des ordonnances. Pour atteindre le résultat escompté, il fallut poursuivre la lutte contre les premiers et dresser, avec ténacité et sévérité, les seconds pour extirper de leur être les maux qui avaient forgé leur manière de vivre.

Disposant d'une force armée permanente, le roi l'employa en temps de paix à la sécurité du royaume. Il distribua ces compagnies dans tout le pays et plus particulièrement à ses marches (frontières). Ce déploiement ne se fit pas sans problème. En effet, jusqu'à la création des casernes sous Louis XIV, les "gens d'armes" appartenant à ces compagnies étaient logés chez les habitants de leur lieu d'emploi qui avaient obligation de leur fournir le lit, la place au feu et à la chandelle. Cette promiscuité créait sans cesse des désordres dénoncés régulièrement par les diocèses et les états des provinces. Le traitement de ces conflits en revint au prévôt des maréchaux qui vit ses prérogatives élargies à la discipline des troupes en garnison. Dès lors, il fut bien vite impossible à l'unique prévôt des maréchaux d'étendre sa vigilance sur toutes les troupes qu'elles soient en garnisons ou en déplacements. L'aide de ses lieutenants se révéla également insuffisante et les plaintes des habitants des provinces sur les méfaits que commettaient ces militaires et les bandes de brigands armés ne cessaient d'augmenter.

Le prévôt des maréchaux avait, il est vrai, juridiction sur tous les gens de guerre et sur toute troupe armée parcourant les grands chemins, mais l'obligation de séjourner à la cour prescrite par Charles VI, l'empêchait d'exercer une surveillance suffisante sur les points où sa présence eût été nécessaire. C'est pourquoi, en 1474, Louis XI permit à Tristan l'Hermite (3), alors prévôt des Maréchaux, d'avoir dans chaque province un lieutenant pour le remplacer. Ces officiers, représentant du prévôt des maréchaux, pourraient, en vertue de leur commission, assembler les gens nobles et autres gens du pays afin de « s'opposer aux gens de guerre, avanturiers & vagabons débandés des armées qui couroient les champs, volant & opprimant le peuple, de les prendre & saisir au corps & les rendre aux Baillifs & Sénéchaux pour en faire Justice ». Ainsi font les gendarmes qui remettent aux magistrats compétents les malfaiteurs arrêtés.

Après la mort de Tristan l'Hermite, vers 1475, Louis XI voulut que le prévôt des maréchaux ne fut plus détourné de son service dans les provinces et aux armées et établit pour la première fois un prévôt exprès à la suite de la cour sous le titre de prévôt de l'hôtel avec trente archers, un commissaire pour les revues et un trésorier pour la solde. La justice du prévôt de l'hôtel était ambulatoire et ne pouvait nuire à celle du Châtelet de Paris, car elle ne s'exerçait qu'à la suite du roi, en voyage ou aux armées.

Les prévôts des connétable et maréchaux qui succédèrent à Tristan l'Hermite outrepassèrent leurs droits soit par conviction de bien faire, soit par intérêt personnel. Quelles qu'en fussent les raisons, les abus et les injustices fâcheuses qu'ils avaient commises donnèrent lieu à de nombreuses plaintes qui furent rapportées aux États de Tours en 1483. Louis XI ordonna alors, au cours de ces États, que «les Prévôts des Maréchaux ou leurs Lieutenans ne doivent eux, entre mettre de juger, appointer ou décider autres matières que de celles qui sont sujettes à leurs Offices; c'est à sçavoir touchant le fait de la guerre & ne doivent en rien prendre connoissance ni Jurifdiction d'autres matière même des cas dont les Seigneurs hauts Jufticiers moyens & bas doivent avoir connoiffance & Jurifdiction fur peine de perdition d'Office & d'amende arbitraires & ne doivent les Lieutenans dudit Prévôt exercer autre Office Royal mêmement ès lieux & termes de leur puiffance & Office fur les peines devant dites il a été déliberé & conclud que les Prevôts des Maréchaux n'exerceront autre Juftice que celle qu"ils doivent faire ne par confequent leur Lieutenant, c'eft à fçavoir touchant le fait de la guerre».

Charles VIII crée les commissaires
Charles VIII

Charles VIII, âgé de 13 ans succéda à son père Louis XI, sous la haute bienveillance de sa soeur aînée Anne de Beaujeu désirant continuer le gouvernement de son père.

Sous le règne de ce roi, les gentilshommes qui avaient été choisis pour représenter le prévôt des maréchaux dans les provinces étaient maintenus dans la mission que leur avait fixée Louis XI. Cependant, le déplacement des troupes dans le royaume était devenu une véritable calamité pour les habitants et le roi fit paraître plusieurs ordonnances intéressantes sur la police des troupes pour régler leurs rapports avec les populations. La discipline des compagnies d'ordonnance n'était toujours pas acquise et Charles VIII devait faire l'amer constat que « les gens de guerre de nosdites ordonnances, quand ils chevauchent sur les champs font à nos subjects plusieurs pilleries, excès et violences, les battent et mutilent, prennent moutons, poulailles, foin, avoine et autres vivres sans aucune chose en payer qui est à notre très grande desplaisance et à la très grande foulle, charge et détriment de nosdits subjects..».

Pour lutter contre ce banditisme, le roi, dans une ordonnance donnée à Bourges en octobre 1485(1) , institua, dans chaque compagnie d'ordonnance, des officiers chargés de veiller aux bonnes relations entre les gens de guerre et la population, tant sur le prix des vivres, le couchage et autre problème. Ces commissaires, destinataire des plaintes des habitants, étaient chargés de s'assurer qu'aucun habitant ne soit lésé et s'il advenait que les gens de guerre commettent quelques délits, les capitaines devaient les remettre immédiatement « ès mains du prevost des maréchaux de France ou son lieutenant s'il y est et en son absence ès mains de la justice du lieu où le cas sera commis ainsi que ledit commissaire l'ordonnera ».

L'année suivante, Charles VIII publiait à Compiègne, un nouveau règlement(2) pour les gens de guerre dans lequel il exigeait que les capitaines et leurs lieutenants prêtent serment dans ses mains et s'engagent, par écrit signé de leur main et scellé de leur sceau, à « rendre , restituer et paier tous les dommaiges, pilleries et raençonnemens qui seront faiz par ceulx de leurs charges et compaignies , sur peine d'estre destituez et deschargez de leurs charges et estatz et de l'amender arbitrairement ». Pour les déplacements, il exigeait également que les lieutenants soient continuellement dans leur compagnie lorsqu'elle chevaucherait et serait placée sous la surveillance des commissaires pour les mener et des « commis de noz amez et féaulx les mareschaulx de France et ceulx de nostre secretaire de la guerre qui congnoissent les hommes d'armes et archiers chevaucheront avecques eulx ».

Pour veiller à l'exécution des ordonnances, Charle VIII ordonnait aux Maréchaux qu'ils chevauchent « une fois l'an par tout nostredit royaume. selon et ainsi que entre eux ilz despartiront les quartiers et provinces, afin de faire entretenir lesdictes ordonnances et pugnir les transgresseurs en maniere que ce soit exemple à tous autres ». Cette mission n'a pas varié dans le temps et demeure attachée à la gendarmerie qui « est une force instituée pour veiller à la sûreté publique et pour assurer le maintien de l'ordre et l'exécution des lois ».

Un autre évènement important allait concourir à l'émergence des maréchaussées. Depuis Philippe Auguste et jusqu'au règne de Charles VIII, les baillis étaient des officiers de robe et d'épée. Ils rendaient la justice et devaient maintenir la tranquillité publique à l'aide de leurs sergents qui formaient une troupe militaire. La multiplicité et la complexité des affaires mirent ces magistrats en difficulté, aussi pour obtenir d'eux des décisions de justice sérieuses et honorables, Charles VIII voulut que les baillis ou sénéchaux fussent à l'avenir docteurs ou licenciés. Le plus grand nombre d'entre eux ne l'étant pas, on leur adjoignit deux officiers diplômés : un lieutenant général et un lieutenant particulier pour agir en l'absence du lieutenant général. C'est ainsi que les pouvoirs judiciaire et militaire et financier, qui jusqu'alors avaient été réunis dans les mains des baillis ou des sénéchaux, commencèrent à être démembrés. Cependant, même diplômé, le lieutenant général rendait la justice sous la présidence du bailli ou du sénéchal.


(1) Ordonnance d'octobre 1485 portant règlement sur la police des gens de guerre, et principalement « sur les pilleries et les vexations dont ils pouvoient se rendre coupable ».

(2) Ordonnance du 6 octobre 1486 portant règlement pour les gens de guerre

Louis XII pérennise la démarche
Louis XII

Par ses lettres patentes de Blois en mars 1498, Louis XII (1498 - 1515) obligea, comme son cousin Charles VIII, les baillis et sénéchaux à être licencié ou docteur en droit faute de quoi, ils n'auraient plus voix délibérative dans les procès. Les baillis et sénéchaux n'ayant fait aucun effort pour obtenir l'un de ces diplômes, toute l'administration de la justice leur échappa au profit des lieutenants généraux. Cette ordonnance, sur la justice et la police du royaume, confirmait la suppression des juges d'épée.

C'est aussi à cette époque que le bilan concernant la mise en place dans les provinces de gentilshommes représentant le prévôt des maréchaux fut dressé. Malgré quelques cas de défaillance rapidement redressés, l'initiative de Louis XI se révéla bénéfique. Il était temps désormais de la pérenniser pour assurer dans toutes les provinces une surveillance continuelle et particulière à l'égard des malfaisants. Louis XII (1498 - 1515) s'y employa et changea peu à peu ces simples commissions en offices en faveur de plusieurs provinces de sorte que, sur la fin de son règne, la majorité d'entre elles avaient officiellement un représentant du prévôt des maréchaux. C'est à cette époque que le nom de sergent fit place à celui d'archer. Dans les grands gouvernements(4), ces officiers furent appelés « prévôts généraux » suivi du nom de la province (exemple : le prévôt général de Languedoc). Pour les provinces plus petites qui n'avaient pas de gouverneur, il fut qualifié de prévôt particulier de telle ville ou de telle province (sans l'épithète général) (5). La création de ces offices obligeant leur détenteur à une action permanente, ces officiers eurent la liberté de se choisir des lieutenants et un certain nombre d'archers pour mener à bien leurs missions. Ces compagnies, véritable extension des pouvoirs de discipline attribués aux Maréchaux sur les gens de guerre, prirent le nom de prévôté.
Sous leurs nouveaux titres, les prévôts installés dans les provinces n'avaient d'autre pouvoir que ceux attribués aux prévôts des connétable et maréchaux. La mission principale de ces prévôts subsidiaires était de parcourir le territoire dans lequel ils avaient été nommés et d'arrêter tous les malfaiteurs pris en flagrant délit pour les remettre aux juges ordinaires des lieux où l'infraction avait été commise. Leur engagement permanent et leur chevauchée quotidienne avaient fait place aux actions ponctuelles imposées par les évènements.

Les missions confiées aux prévôts des connétable et maréchaux étaient plus spécifiques. Ces officiers et leurs lieutenants avaient pour mission de surveiller continuellement les troupes pour éviter aux populations d'être victime de leur brutalité et de leur banditisme. Louis XII (1498 - 1515), dans sa lettre patente du 20 janvier 1514 (1) portant règlement pour la discipline militaire, leur ordonna « que d'oresnavant les prevosts des mareschaux chevaucheront les pays, eux et leurs lieutenans, et feront résidence sur les compagnies : et qu'ils chevauchent de garnison en garnison, pour mieux faire justice, tenir ordre et police ausdicts gens de guerre, et corriger les fautes, oppressions et pilleries que lesdits gens de guerre pourront faire au peuple ». Afin que cette mission soit parfaitement et quotidiennement accomplie, il leur interdit de se trouver en cour à moins que « le roy, mondit seigneur le connestable ou messeigneurs les mareschaux ne les mandent ». Les fautes relatives à la discipline militaire étaient du ressort des officiers militaires. Suivant ce même édit, le roi leur accorda la possibilité de «commettre lesdits prevosts, en chacune compagnie un homme de bien lieutenant, pour administrer justice». Cette possibilité deviendra plus tard un office à part entière lorsque l'officier chargé de cette mission sera créé sous le nom de prévôt de l'armée.

Louis XII, qui fut surnommé le père du peuple, recueillait les fruits que les sages mesures de police prises par ses prédécesseurs avaient produits avec le temps. Le peuple attribua à sa bonne administration seule la tranquillité où se trouva le pays.

François Ier crée une institution
François Ier

Lorsque François Ier (1515 - 1547) monte sur le trône, la juridiction des prévôts des maréchaux se limitait toujours à pourchasser et punir les méfaits que les gens de guerre des compagnies d'ordonnance commettaient à l'encontre des populations. Conformément au règlement du 20 janvier 1514, si les gendarmes ne faisaient pas preuve de probité envers leurs hôtes ou la population, ils s'exposaient à la sanction des prévôts des maréchaux. Par exemple, ils devaient payer à leur juste valeur leur nourriture et celle de leurs chevaux aux paysans, respecter les familles auxquelles on imposer de les héberger au feu et à la chandelle, etc. Lorsque cela n'était pas le cas, le roi exigeait « qu'ils soyent livrez par les capitaines au prevost des mareschaux, ou à son lieutenant en son absence, pour en faire la punition et au cas que ledit prevost ou son lieutenant ne le voudra faire, les livre à la justice des lieux pour les punir, tant les maistres que les valets ». Ces punitions consistaient au paiement des sommes dues et à des peines d'amende et corporelle. Les fautes contre la discipline et celles liées au service étaient du ressort des capitaines.

À cette époque, le licenciement des troupes venues en complément des compagnies d'ordonnance à la fin des batailles était toujours pratiqué. Pour éviter cependant que des bandes ne se forment et se livrent aux pillages, on ordonnait aux soldats licenciés de rentrer chez eux trois par trois afin de reprendre leurs anciens métiers sous peine de sanction et d'emprisonnement. En cas d'attroupement, la juridiction des prévôts ne s'exerçait qu'aux militaires soldés, tous les autres malfaiteurs, y compris ceux mêlés à la troupe, étaient systématiquement livrés aux juges ordinaires des lieux. Il en était de même pour les gens sans domicile, les prévôts n'avaient aucun pouvoir sur les aventuriers, les vagabonds, les gens sans aveuVoir glossaire, de quelque état et condition qu'ils fussent.

Les prévôts et lieutenants des maréchaux n'ont eu la juridiction sur les voleurs, les vagabonds et tous les autres cas qui seront dénommez prévôtaux que dans la suite et au fur et à mesure des circonstances. L'origine de cette attribution se produit en 1536, lorsque François Ier, après plus de vingt ans de règne, leur accorda la juridiction sur des cas particuliers de personnes non militaires par ses lettres Patentes du 25 janvier(2), mais cette décision ne fut qu'une simple commission à temps et ne fut enregistrée en aucun lieu.

La création et la mise en place de cette nouvelle force de police s'effectuèrent à une époque troublée sur le plan de la justice. L'introduction du droit romain imposait de nouvelles règles et exigeait des officiers de justice des connaissances en la matière hautement plus élevées que celles qu'ils possédaient pour juger selon le droit coutumier jusqu'alors en usage. Faute d'être revêtus d'un titre universitaire en droit, les baillis et sénéchaux furent privés de leur voix délibérative dans l'administration de la juridiction contentieuse. Frustrés par cette décision, ils négligèrent leur mission et abandonnèrent le royaume aux voleurs et vagabonds de toutes sortes. Ce mouvement de rébellion envers la couronne allait modifier durablement la fonction originelle des prévôts des Maréchaux.

Aux guerres menées contre Henri VIII, roi d'Angleterre, puis contre l'empereur Charles Quint, succédaient les incessants pillages des bandes formées de soldats licenciés et de militaires abandonnant les troupes régulières auxquelles s'amalgamaient d'autres propres à rien de toutes sortes. Après la paix signée avec l'empereur au mois de septembre 1544, la paysannerie, Victime de l'inaction des baillis et des sénéchaux, fut à nouveau victime de ce phénomène. Ce furent ces motifs qui déterminèrent François Ier d'augmenter, par un édit solennel du 3 octobre 1544 (3) , la compétence des prévôts des Maréchaux. II leur accorda, pour la première fois par concurrence et prévention avec les baillis et sénéchaux, la justice, correction et punition sur les militaires qui abandonnaient le service ou leurs garnisons, mais également sur tous les vagabonds et autres malfaiteurs qui tenaient les champs pour y commettre des vols, des violences ou autres semblables crimes.

Édit du 3 octobre 1544 «... commandons par ces présentes à tous nos Baillifs , Senéchaux, ou leurs Lieutenans, prévost des Maréchaux de France, ou leurs Lieutenans , & chacun d'eux en fon regard, qu'à la justice, correction & punition defdits Gens de Guerre, qui ont defemparé nôtre Service , Armée & Garnifons , des vagabons , & autres personnages quelconques tant de cheval que de pied, de quelque état, qualité & condition qu'ils foient, tenans les Champs en forme d 'hoftilité, ou autrement ; foulans & opprimans le Peuple, commettans force, violence, détrouffemens, pilleries, larcins, & autres cas, crimes & délits commis par les fufdits , ils vaquent & entendent diligemment : Et en ce procédent felon l'exigence des cas, en maniere que ce foit à tous chofe exemplaire, & jufques à Sentence déffinitive & execution d'icelle inclufivement...».

Louis XI, Charles VIII et Louis XII employèrent les prévôts des maréchaux pour faire respecter leurs ordonnances sur la police générale du royaume. François Ier leur donna des pouvoirs de police et de répression pour assurer, d'une manière permanente, le maintien de l'ordre dans tout le royaume non seulement sur les gens de guerre, mais encore pour le purger des brigands qui le ravageaient avec une audace inouïe. C'est dans ce dessein que cette force de police fut considérablement augmentée, mais elle resta une troupe militaire soumise à l'inspection des maréchaux de France et releva directement du siège de la Connétablie. C'est ainsi que fut constituée la maréchaussée en 1536 et l'on peut attribué à François Ier d'être son véritable organisateur.

Notes

(1) Jusqu'à François Ier, il n'y avait qu'un seul prévôt au service des deux ou trois Maréchaux de France d'où la terminologie de Prévôt des Maréchaux. Les guerres d'Italie donnèrent un motif supplémentaire à ce prince pour élargir le champ d'action du prévôt des maréchaux. C'est à cette époque qu'un prévôt fut établi près chaque maréchal, mais l'emploi de cette dénomination qui s'était imposée dans les usages fut conservé.

(2) Pour remplir cette charge, deux conditions étaient nécessaires. Il fallait, pour la première, être gentilhomme et, pour la seconde, avoir commandé aux armées. Le rôle de cet officier consistait, durant les guerres, d'être continuellement avec ses lieutenants à la suite des camps et armées pour surveiller et corriger les fautes des soldats. Les jours de bataille, il combattait à la tête de l'armée comme les autres chefs. En temps de paix, il n'avait point de fonction comme cela fut réglé entre lui et les officiers de la connétablie à la Table de Marbre par Lettres patentes de Charles V du 13 décembre 1374. Son fils, Charles VI, préféra en temps de paix l'attacher à la cour, pour qu'il y exerce les mêmes fonctions qu'il avait aux armées, mais sur les gens de la cour et ceux qui s'y rendaient. Cette fonction sera exercée un peu plus tard par un officier spécialement créé pour cela et qui sera appelé prévôt de l'Hôtel

(3) Tristan l'Hermite était le prévôt des deux maréchaux à cette époque. Les immenses services qu'il a rendus au pays ont été oubliés sur la foi des ennemis de Louis XI, il a été honni, méprisé pourtant il joua un rôle essentiel et difficile dans cette innovation pour discipliner les anciens Écorcheurs et en faire les gens d'armes du roi.

(4) Sous François Ier, il n'existait que neuf gouvernements dans le royaume. C'étaient ceux de Normandie, Guyenne, Languedoc, Provence, Dauphiné, Bourgogne, Champagne et Brie, Picardie et d'Île-de-France. Ces provinces avaient à leur tête un gouverneur et un lieutenant général pour adjoint. C'est uniquement dans ces gouvernements que les prévôts reçurent l'appellation de prévôts généraux.

(5) Notons que c'est sous le terme général de prévôts des maréchaux (au pluriel) que ces officiers étaient désignés dans les ordonnances. Cependant, ces officiers étaient divisés en deux catégories les prévôts généraux et les prévôts provinciaux.
- Les prévôts généraux recevaient également l'appellation de prévôts ordinaires. C'étaient les officiers attachés à la suite des maréchaux et qui étaient chargés d'exécuter leurs ordres. Ils étaient dits généraux, car ils détenaient des maréchaux le pouvoir d'exercer leur juridiction universellement dans tout le royaume. Ils sont à l'origine de la création de tous les autres prévôts.
- Les prévôts provinciaux c'est-à-dire ceux installés dans les provinces furent appelés prévôts subsidiaires. Ils avaient étaient créés en complément des prévôts ordinaires. Ces prévôts, à la différence des premiers, n'exerçaient leur pouvoir que sur une partie du territoire. Ils avaient cependant les mêmes pouvoirs que les prévôts ordinaires dans la mesure où ils n'étaient pas moins prévôts des maréchaux. Les prévôts des grandes provinces furent également appelés prévôts généraux, mais par équivoque. L'immensité de leur territoire obligea la couronne à installer dans une ou plusieurs parties de ces territoires des prévôts particuliers. Les prévôts de ces provinces, ayant autorité sur l'ensemble de leur territoire, furent appelés prévôts généraux par analogie avec les prévôts ordinaires pour marquer l'étendue de leur ressort. Ces prévôts particuliers, placés sous les ordres du prévôt général, étaient ses lieutenants.

Cette terminologie évolua avec le temps.
Les prévôts des maréchaux installés dans les provinces se heurtèrent à leur tour à l'étendue du territoire qu'ils devaient protéger et aux nombreuses missions dont ils furent chargés au fil du temps. La couronne, qui n'était pas en mesure d'engager une augmentation de dépenses pour accroître leur nombre, laissa aux provinces la possibilité de nommer et d'entretenir d'autres prévôts et archers qui furent placés sous l'autorité des prévôts des maréchaux nommés par le roi. Ces prévôts exerçaient leur charge dans les diocèses qui les soldaient. Ceux assignés par les provinces furent alors appelés « prévôts provinciaux de tels lieux ».
Pour les seconder, les prévôts des maréchaux avaient des lieutenants.
Parmi ces officiers, on en distingue deux sortes. Il y avait ceux qui secondaient le prévôt dans le commandement de sa compagnie d'archers et que l'on désignait sous le simple titre de lieutenant du prévôt et ceux qui étaient détachés de la compagnie et opéraient continuellement dans une partie de la province à la tête d'une petite troupe d'archers. Ces lieutenants qui étaient sous l'autorité du prévôt, mais exerçaient leur service en toute autonomie prenaient le titre de prévôt particulier. Cette appellation devint usuelle lorsque les compagnies de maréchaussée furent scindées en lieutenances. Ces officiers, installés dans chacune des sénéchaussées composant les provinces, reçurent définitivement cette appellation. Pour la province du Languedoc, il y avait un prévôt général installé à Montpellier et trois prévôts particuliers installés dans les sénéchaussées de Toulouse, Carcassonne et Beaucaire.


(1) Ordonnance du 20 janvier 1514 portant règlement et statuts sur le service des gens d'armes et les prévôts des Maréchaux de France. Donné à Laferté-sous-Jouarres.

(2) Édit du 25 janvier 1536 portant attribution aux prévôts de connaître des crimes commis par les gens de guerre. Donné à Paris le 25 janvier 1536.

(3) Édit du 3 octobre 1544 portant attribution de juridiction aux prévôts pour la punition des Gens de Guerre tenans les champs pillans & opprimans le Peuple. Donnée à Amiens le 3 octobre 1544.

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