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Avant de retracer sommairement l'histoire de la prévôté aux armées, il nous a paru utile de rappeler le nom et la compétence ordinaire des principales juridictions devant lesquelles, antérieurement à 1789, les militaires pouvaient être appelés à comparaître.
La plus haute juridiction militaire était celle du Connétable : la Connétablie qui l'exerçait généralement par ses prévôts. Venait ensuite celle des prévôts des Armées, prévôts des bandes ou des régiments qui s'occupaient spécialement de la discipline intérieure et que l'on abordera dans ce sujet. Les Maréchaux de France étaient chargés du maintien de l'ordre et particulièrement de la police des routes. On distingue les prévôts attachés à leur personne et à leur suite et les prévôts créés à partir de Louis XII et installés dans les provinces. Ces derniers, nommés prévôts des Maréchaux, avaient la connaissance spéciale des délits qu'ils y constataient et d'autres infractions déterminées que l'on appelait les cas prévôtaux. Ces prévôts n'étaient pas des juges exclusivement militaires, car leur compétence formée ratione materiæ s'appliquait à tous les cas prévôtaux qu'ils fussent relevés à la charge des militaires ou des personnes privées. Les présidiaux, justices ordinaires supérieures, connaissaient d'une manière exclusive des cas royaux puis des cas prévôtaux par concurrence et prévention avec les prévôts des maréchaux. Enfin, la justice ordinaire des lieux, soit du roi soit des seigneurs, exercée d'abord par les sénéchaux et les baillis puis par leurs prévôts et leurs lieutenants était appelée dans certains cas à juger les militaires.
L'autorité accordée aux militaires chargés du commandement des troupes était inséparable du pouvoir de juger et cette juridiction faisait partie intégrante de l'office et de la fonction de commandant. Les règlements, nécessaires pour le maintien de la discipline militaire dans les armées et dans les camps, étaient établis par les officiers d'état-major de ces troupes. Sous l'ancien régime, il existait des tribunaux extraordinaires nommés Conseil de Guerre dont la juridiction ne s'étendait que sur les militaires et pour des crimes(1) concernant la fidélité due au service du roi, la discipline militaire et la police des troupes hors service (note 1). Ce conseil de guerre n'ayant qu'une compétence sur des crimes militaires particuliers, il s'ensuit naturellement que les délits des militaires envers les populations des lieux où ils étaient en garnison ne relevaient pas de ce tribunal, mais des prévôts des Maréchaux ou des juges ordinaires des lieux.
De toute évidence et hormis ces crimes spécifiques, il ne fut pas possible au généraux et aux autres officiers, occupés au commandement de leurs troupes, à veiller par eux-mêmes aux crimes et délits commis par des soldats déserteurs en dehors des camps ou à la suite de l'armée. Les missions des prévôts à la suite des maréchaux ayant changé de nature (note 2), celle des prévôts généraux et provinciaux étant circonscrites à leur province et celle du grand prévôt de la connétablie (note 3) étant matériellement limitée à cause de ses effectifs, il parut nécessaire de créer un magistrat spécialement chargé de l'exercice de la justice au sein des armées. Cette création fut faite en 1544, époque à laquelle François Ier créa la charge de colonel général des bandes françaises. Pour distinguer ces nouveaux prévôts de ceux établis dans les provinces, on leur donna le titre de prévôt des bandes et lorsque ces bandes (note 4) furent transformées en régiment, on les nomma prévôts de l'armée.
Le Roi leur assigna quinze livres par mois de gages, et sept livres, dix sous aux archers. Outre leur solde, ils jouissaient de certains droits particuliers, et avaient les mêmes libertés, privilèges et franchises que les prévôts des maréchaux.
Pour exercer leur office, il recevait du roi une lettre de provision et de commission(2). Cet officier, aidé de ses archers, était chargé de l'administration de la justice et de la police des vivres. Il devait instruire les affaires de vol, de meurtres ou de violences qui se commettaient en garnison ou à l'occasion des déplacements de la troupe. Il était de son devoir de chasser et châtier les filles de joie, et les goujats qui étaient à la suite des compagnies. Il pouvait proposer aux généraux commandant les armées, des règlements et ordonnances de police. Il devait empêcher, dans les armées, les duels et les jeux de hasard.
Un édit, enregistré au parlement de Paris en 1558, érigea cette prévôté en une justice souveraine sur toute l'infanterie à la solde du roi et cette justice devait être exercée par le colonel ou son prévôt des bandes. La compétence militaire dudit prévôt fut déterminée par l'ordonnance de 1586(3) rendue à cette époque par Henri III. Elle résume toutes celles qui avaient paru jusque là sur la matière.
« ET pour qu'aucunes personnes étant à notre solde esdites Bandes ne puissent décliner la Jurifdiction dudit Prévôt sous prétexte d'être domiciliées ou autrement, Voulons que toutes personnes étant à notre solde dans les bandes, leurs serviteurs et goujats ayant commis crime ou délit, ledit prévôt en prenne connaissance privativement à tous autres et les juge suivant nos ordonnances, nonobstant oppositions ou appellations qu'ils pourraient interjeter et sans y avoir égard, il sera par lui passé outre à l'exécution des jugements ayant pris l'avis du colonel et du maître de camp ainsi qu'il est accoutumé ».
Cette même ordonnance enjoignait au prévôt d'appliquer les lois ordinaires et les ordonnances générales aux crimes non prévus par les règlements militaires. Elle lui attribuait enfin la connaissance des délits et malversations commis par les vagabonds et gens sans aveu qui suivaient les bandes. Les capitaines et soldats étaient tenus de leur obéir en tout ce qu'il leur ordonnait pour la justice. L'obéissance au prévôt était assurée par l'article 35 de cette ordonnance qui porte que :
« DEFENDONS sur peine de la vie à tous Capitaines & Soldats d'injurier ou trager de fait ni de parole le Prévôt de nos bandes, ains lui obéiront en ce qu'il ordonnera pour la justice comme étant notre Magistrat & Officier, ni pareillement ses Lieutenant, Greffier & Archers. Voulant que les coupables desdits crimes soient rigoureusement châtiés comme ayant attenté contre notre autorité & puissance ».
Tout délit qui avait lieu aux armées ou dans les troupes était tenu pour délit flagrant et prévôtal. Aux armées, la cour prévôtale était composée du prévôt, d'intendants et de capitaines, à la suite des compagnies, avec les juges du lieu.
Dans une ordonnance de 1611, le prévôt des bandes fut qualifié de juge civil et criminel en tout ce qui concerne l'ordre, règlement, discipline et police des gardes françaises. Louis XIII sur les plaintes et doléances qui lui furent adressées par les états généraux de 1614 attribua au prévôt des bandes la connaissance de tout crime de soldat à soldat, comme de soldats envers leurs capitaines et officiers, même de tout crime ou excès commis en fonctions par les soldats envers et contre qui que ce soit. En 1664, Louis XIV donna, par lettres patentes, séance et voix délibérative au châtelet de Paris à son prévôt général des bandes dans les affaires concernant les soldats avec les habitants. Ces derniers étaient aidés dans leur tâche, par la maréchaussée provinciale qui avait obligation de suivre les troupes lorsque celles-ci passaient dans leur province (ordonnance du 25 février 1666).
Depuis la campagne de 1744, la prévôté générale (note 5) était en charge de fournir des détachements en campagne pour la police des camps.
À la révolution, plusieurs institutions, dont le rôle majeur consistait à protéger les populations des excès commis par les militaires, furent supprimées. Ainsi, la loi du 6, 7 et 11 septembre 1790 supprima le siège de la Connétablie et maréchaussée de France, la loi du 16 février 1791(4) supprima les prévôts provinciaux et réorganisa la maréchaussée en corps nouvellement dénommé Gendarmerie nationale, enfin la loi du 1er juillet 1792(5) liquidait tous les offices de la prévôté générale des bandes.
(Note 1) : Parmi les crimes concernant la fidélité due au service du roi, il y avait le fait d'entretenir une correspondance avec l'ennemie en temps de guerre, d'abandonner son drapeau, de faciliter l'évasion des prisonniers de guerre, de s'enfuir d'une place assiégée, d'abandonner son poste de sentinelle, de déserter... Les crimes de discipline allaient de la simple désobéissance aux voies de faits commises envers les officiers soit en les frappant ou même en faisant contre eux quelque geste menaçant comme de porter la main à la garde de l'épée ou de mettre le fusil en joue. Pour les crimes de police hors service, ils concernaient les blasphèmes, les profanations de choses sacrées, les délits de mœurs et les crimes de soldat à soldat : insulte, vol et assassinat.
(Note 2) : L'administration de la justice concernant les militaires ayant été attribuée au cours des règnes de Louis XII et François Ier aux prévôts généraux et aux prévôts des bandes, les prévôts et les lieutenants qui servaient près des maréchaux de France et à leur suite furent employés comme officier missionné. Désormais, les fonctions et pouvoirs de ces derniers consistaient à exécuter dans toute l'étendue du royaume les ordres du roi ou ceux qui leur étaient donnés par les maréchaux, conjointement ou séparément, sans qu'ils ne puissent s'ingérer dans aucune autre fonction que celle prescrite par les ordres dont ils étaient chargés. Cette compétence fut d'ailleurs réglée par les arrêts des 9 juillet 1425 et 14 août 1459 et leur fut confirmée par l'édit de mars 1720 (article X), lors de la suppression de tous les officiers et archers de maréchaussée sauf ceux des maréchaux de France. Ainsi, le pouvoir de ces prévôts était limité aux missions prescrites dans leurs ordres, sans que celles-ci ne puissent excéder le pouvoir des Maréchaux ni s'étendre aux personnes qui n'étaient pas soumises à leur autorité. En résumé, ils ne pouvaient connaître uniquement que des délits commis contre les règlements sur la discipline militaire par personnes qui y étaient soumises.
(Note 3) : le prévôt général de la connétablie et maréchaussée de France, camps et armées du roi était secondé par trois lieutenants et disposait de cinquante archers. Sa juridiction s'étendait, en tous les lieux du royaume où il se trouvait, sur tous cas de crimes commis sur les chemins et voies publiques, port d'armes, meurtres, assassinats, larcins, vols, sacrilèges, crimes de lèse-majesté, rapts de femmes et filles, cambriolages, fausse monnaie et de tous autres cas et crimes attribués aux juges extraordinaires.
Pour la partie militaire, lorsque le prévôt se trouvait dans les camps et armées du roi, il avait la connaissance et jugeait tous les cas en matière civile et criminelle, sur la police et la discipline militaire, le taux et le prix des vivres, il expédiait les passeports, les sauf-conduits pour la sûreté des marchands ravitaillant en vivres et munitions les camps et armées. Enfin, il pouvait contrôler le travail des prévôts provinciaux et selon les besoins les assembler avec leurs Lieutenants et archers.
(Note 4) : On désignait autrefois sous le nom de bandes les troupes de fantassins.
(Note 5) : La prévôté générale des régiments des gardes françaises était une compagnie de maréchaussée composée de 16 individus à savoir un prévôt général, un lieutenant, un juge auditeur, un greffier et 12 gardes. Ils étaient institués à l'effet d'exercer la justice et la police militaire.
(1) Ordonnance du 1er juillet 1727 concernant les crimes et délits militaires.
(2) Lettres patentes du 6 avril 1553 de confirmation et de provision en faveur du prévôt des bandes Yves Bargenin.
(3) Ordonnance de 1586 sur la police des bandes (extrait)
(4) Loi du 16 février 1791 relative à l'organisation de la gendarmerie nationale.
(5) Loi du 1er juillet 1792 relative à la liquidation de divers offices militaires.
Après la suppression des prévôts des bandes, l'Assemblée nationale estima nécessaire d'organiser des détachements de gendarmerie chargés de la police des armées. Renouant avec la tradition, la loi du 23 mai 1792(1) institua une force publique pour l'exécution des jugements des Cours Martiales et pour veiller au maintien de l'ordre dans les camps. Ces détachements étaient composés d'un capitaine, de deux lieutenants, deux maréchaux des logis, quatre brigadiers et vingt-quatre gendarmes, en tout 33 hommes montés. Ces petites unités furent établies à la suite de chaque armée, mais ces effectifs se révélèrent très vite insuffisants et une loi du 30 avril 1793(2) les augmenta. Chaque détachement fut porté à 150 hommes et placé sous les ordres d'un lieutenant-colonel secondé par un capitaine et trois lieutenants.
Après la paix de Bâle, la loi du 28 germinal an III(3) (17 avril 1795) supprimait les divisions de gendarmes à cheval organisées pour la guerre. Les gendarmes les plus aptes et les mieux montés furent incorporés sans délai dans les détachements de gendarmerie employés à la police des camps et des armées, les autres reprenaient leur place dans les brigades. Ces détachements étaient reconstitués à l'effectif de 150 hommes conformément à la loi du 30 avril 1793. Par l'arrêté du 18 nivôse An IV (8 janvier 1796), le directoire réduisit l'effectif de ces détachements.
Dans la loi relative à l'organisation de la gendarmerie nationale du 28 Germinal an VI(4), le Conseil des Cinq-cents confirmait la création, en cas de guerre, de détachements destinés au maintien de l'ordre et de la police dans les camps et cantonnements. Si la gendarmerie était devenue un instrument au service des populations, elle n'en demeura pas moins un dispositif capable de s'opposer aux désordres engendrés par les soldats. Ces détachements étaient extraits des différentes divisions de gendarmerie et devaient être toujours tenus au complet.
Structurée, hiérarchisée, soldée, encadrée, la toute nouvelle République qui menait la guerre sur le sol étranger n'entendait pas que ses troupes se livrassent à la dépravation, à la pillerie, aux violences gratuites envers les populations et cela au mépris des tout nouveaux droits de l'homme. Par son action, elle apportait aux autres peuples la liberté et non la désolation ou la misère. Ses troupes, étant le bras armé de cet idéal, ne devaient pas par leurs mauvaises actions jeter l'opprobre sur la France en lui apportant le déshonneur.
La République étant une et indivisible, ses lois devaient s'appliquer à tous ses citoyens mêmes qu'ils fussent soldat et hors de France. Cette loi sera suivie en l'an VII par une instruction du 29 floréal due au général Wirion, suivant laquelle la force publique serait distribuée en proportion de la force de chacune des divisions et en fonction de leurs positions. Ce principe sera conservé durant le Consulat et l'Empire.
Le service, de ces formations prévôtales fournies aux armées en temps de guerre, avait pour but d'assurer le maintien de l'ordre et la police des camps et cantonnements. Le commandant de cette force publique étant placé sous les ordres directs du chef d'état-major général de l'armée, le service de ces gendarmes était le suivant :
Comme sous l'ancien régime, qui avait titré de « grand prévôt » le prévôt du connétable et de prévôt celui des maréchaux de France, le directoire, dans une instruction du 29 floréal an VI sur le service des troupes en campagne et des détachements de gendarmerie fournis en temps de guerre aux armées pour assurer le maintien de l'ordre et la police des camps, donna au général ou au colonel commandant l'ensemble des troupes de gendarmerie détachées le titre de grand prévôt, et à l'officier qui commandait la gendarmerie au sein d'un corps d'armée celui de prévôt. Cette terminologie sera enrichie un peu plus tard d'un troisième degré, celui de commandant des forces publiques pour les niveaux de la division et brigade.
Depuis cette date, tous les textes qui ont réglé le service de la gendarmerie aux armées en ont repris le précepte. Ainsi, Louis-Philippe Ier, dans son ordonnance réglementaire du 3 mai 1832 sur le service des armées en campagne, conserva la terminologie en attribuant au commandant de la gendarmerie d'une armée le titre de Grand Prévôt et le titre de prévôt au commandant de la gendarmerie d'une division.
Dans cette ordonnance, le roi énonça clairement leurs attributions à l'article 171. Ainsi, le Grand Prévôt et ses prévôts avaient pour devoir de protéger les habitants du pays contre le pillage ou toute autre violence. Outre les attributions de police judiciaire, cette ordonnance reconnaissait au Grand Prévôt et à ses prévôts une sorte de juridiction sur les individus trouvés à la suite de l'armée en vertu de laquelle il pouvait les condamner à des amendes de cinquante et de cent francs sans préjudice des peines plus fortes qu'ils auraient encourues.
Les attributions générales de cette ordonnance précisaient le rôle de la force publique aux armées : « La gendarmerie remplit à l'armée des fonctions analogues à celles qu'elle exerce dans l'intérieur. La surveillance des délits, la rédaction des procès-verbaux, la poursuite et l'arrestation des coupables, la police, le maintien de l'ordre sont de sa compétence et constituent ses devoirs. Elle n'est employée au service d'escorte et d'ordonnances que dans le cas de la plus absolue nécessité. Les officiers et les sous-officiers des troupes sont tenus de déférer à la demande de la gendarmerie lorsqu'elle croit avoir besoin d'appui ».
Sous le Second Empire, dans son décret du 1er mars 1854(5), Napoléon III conserva et adapta ce service spécial dans les dispositions consacrées au service de la gendarmerie aux armées. En 1857, les législateurs, dans un souci de concilier le droit et la spécificité militaire, définiront précisément dans le Code de justice militaire du 4 août 1857, les attributions de la gendarmerie aux armées. Ces précisions furent à l'origine du décret du 24 avril 1858(6) qui vint modifier le décret du 1er mars 1854 sur ce sujet.
Après avoir sanctionné les titres de Grand prévôt et de prévôt, il ne restait plus qu'a constituer une juridiction et à déterminer sa compétence. C'est ce que fit le code de justice militaire de 1857 qui créa une véritable juridiction à laquelle on donna tout simplement le nom de prévôté, institution qui depuis un temps immémorial a toujours trouvé place dans l'organisation des armées en campagne. L'instruction ministérielle du 27 juillet 1857 régularisa législativement les pouvoirs donnés au grand prévôt et aux prévôts. L'institution des prévôtés fut ainsi justifiée dans l'exposé des motifs :
« Autour des armées se réunissent et s'agitent le plus souvent des gens sans aveu qui sont la lie des nations et qui n'ont d'autre but que le vol, le pillage et la dévastation. Leurs attentats ne sont pas seulement une grave atteinte à l'ordre et aux lois générales, mais ils peuvent encore avoir pour résultat de compromettre la discipline des troupes, la liberté des opérations militaires et la réunion des subsistances et des approvisionnements. Il importe que les infractions qui peuvent avoir de si graves conséquences soient réprimées et punies sur le champ. Telle est la mission des prévôts destinés à agir sur les flancs et sur les derrières de l'armée dans l'étendue du territoire qu'elle occupe et qu'elle couvre de son action ».
Ainsi, on peut définir les prévôtés comme des juridictions exceptionnelles et particulières à l'état de guerre en pays ennemi. Leur organisation, leur compétence et leur mode de fonctionnement étaient réglés par le Code militaire de ce temps. Dès lors, le grand prévôt exerçait sa juridiction soit par lui-même, soit par l'intermédiaire des prévôts sur tout le territoire occupé par l'armée. Chaque prévôt exerçait sa juridiction dans les limites analogues de la division ou détachement auquel il appartenait. Le grand prévôt ainsi que les prévôts jugeaient seuls, sur le lieu même où ils trouvaient le coupable, souvent en plein champ, ils étaient seulement assistés, pour le grand prévôt d'un capitaine, pour les prévôts d'un sous-officier ou brigadier de gendarmerie faisant les fonctions de greffier.
Les prévôtés avaient juridiction sur les vivandiers, cantiniers, les blanchisseuses, marchands, domestiques et toutes personnes à la suite de l'armée en vertu d'autorisations spéciales, mais également sur les vagabonds et sur les prisonniers de guerre qui ne sont pas officiers. À l'égard de ces personnes, les prévôtés connaissaient les contraventions de simple police et les infractions aux règlements relatifs à la discipline. Les infractions dont les peines étaient supérieures à six mois d'emprisonnement ou 200 francs d'amende ne pouvaient pas être prononcées par le prévôt qui devait adresser une plainte au général qui, s'il y avait lieu, traduisait le prévenu devant un conseil de guerre.
Les décisions des prévôtés n'étaient pas susceptibles de recours à cause du peu d'importance des condamnations qu'elles pouvaient prononcer, mais surtout parce que si elles n'avaient pas été définitives et irrévocables, la promptitude de la répression, si utile aux armées en pays étranger, aurait été à peu près supprimée.
Outre sa mission judiciaire, la prévôté devait veiller à ce que les voies de communication ne soient pas encombrées, elle était chargée d'interpeller les militaires s'éloignant du champ de bataille, les déserteurs, de diriger les blessés vers les postes sanitaires, de protéger les blessés et prisonniers de guerre, de s'opposer au pillage, au dépouillement des morts. Après les combats, c'est elle qui recherchait les blessés des deux armées et leur assurer les soins nécessaires, faisait enterrer les morts après constatation de leur identité et faisait récupérer les armes et munitions abandonnées.
(1) Loi du 23 mai 1792 relative à la force publique nécessaire pour l'exécutions des jugements des cours martiale et pour veiller au maintien de l'ordre dans les camps.
(2) Décret du 30 avril 1793 portant augmentation des effectifs des détachements de gendarmerie nationale, employés pour l'exécution des jugements des tribunaux militaires et le maintien de la police dans les camps.
(3) Loi du 28 germinal An III qui supprime les divisions de gendarmerie à cheval organisées en guerre et détermine le mode d'emploi des militaires qui en faisaient partie.
(4) Loi du 28 germinal an VI relative à l'organisation de la gendarmerie nationale.
(5) Décret du Ier mars 1854 sur l'organisation et le service de la gendarmerie.
(6) Décret du 24 avril 1858 portant règlement sur l'organisation et le service de la gendarmerie (extrait concernant le service de la gendarmerie aux armées).
La législation militaire concernant les tribunaux militaires a maintes fois évoluée et il serait trop fastidieux et sans grand intérêt d'en faire ici le détail. Nous vous proposons de simplement retracer en quelques lignes les premières étapes de cette législation pénale militaire au cours des années qui suivirent la révolution.
La loi du 29 octobre 1790 fut la première qui, après 1789, s'occupa d'organiser les tribunaux militaires. Les tribunaux qu'elle constitua prirent le nom de cours martiales . Ils étaient composés de trois juges, assistés d'un militaire. Vint ensuite la loi du 16 mai 1792 qui, en conservant les cours martiales, créa des tribunaux de police correctionnelle et des juges de paix militaires. La loi du 12 mai 1793 changea cet état de choses en créant des tribunaux criminels militaires. Ces tribunaux composés de trois juges, d'un accusateur militaire et d'un greffier ne jugeaient encore qu'avec l'assistance d'un jury militaire. Les juges de paix militaires étaient conservés, mais il n'était plus question des tribunaux correctionnels. Cette loi fut remplacée par celle du 3 pluviôse an II qui institua des conseils de discipline, des tribunaux de police correctionnelle et des tribunaux criminels militaires avec jury comme par le passé.
Bientôt, une nouvelle loi, celle du deuxième jour complémentaire de l'an III, vint abroger celle du 3 pluviôse en établissant des conseils militaires, ou, comme on le disait déjà, des commissions militaires. Ces nouveaux tribunaux composés de neuf membres pris par égale portion dans la classe des officiers, des sous-officiers et des soldats jugeaient seuls. À partir de ce moment, il ne fut plus question des jurys militaires. Enfin la loi du 15 brumaire an V ouvrit une ère nouvelle en substituant aux conseils militaires des conseils de guerre permanents. Différentes lois postérieures ont bien, il est vrai, permis ou ordonné la création de conseils spéciaux ou de commissions militaires extraordinaires, mais ces tribunaux ont définitivement disparu devant les termes de la Charte de 1814 et de celle de 1830 qui rendaient leur existence désormais impossible. Ce fut la loi du 18 vendémiaire an VI qui, en établissant un second conseil de guerre dans toutes les divisions militaires, institua en même temps un conseil permanent de révision dans chacune de ces divisions chargées de réprimer les abus et les violations de la loi qui pouvaient être commis par les conseils de guerre.
La loi du 23 mai 1792 qui avait institué une force publique en campagne après la suppression des juridictions prévôtales (loi du 11 septembre 1790) n'avait accordait aucun pouvoir judiciaire aux officiers de gendarmerie. Ces derniers ne furent chargés que d'assurer l'exécution des jugements des cours martiales en 1793 puis des conseils de guerre institués en l'An V. Dans les faits, et plus particulièrement durant les guerres de la révolution et celles de l'Empire, la constitution des conseils de guerre pour juger des infractions légères était disproportionnée. Il fallait, cependant, que ces fautes soient jugées pour éviter que les faits ne s'enveniment et ne dégénèrent. Il fut alors institué un tribunal prévôtal dans chaque quartier général. Ce tribunal tirait sa légitimité de l'instruction du 29 floréal An VII qui précisait que « tous vivandiers, hommes de peine et autres suivant l'armée, qui seront trouvés en contravention aux ordres du général en chef ou des généraux commandant les divisions, seront conduits au commandant de la force publique, pour être ensuite punis suivant l’exigence des cas ».
Les grands prévôts et prévôts exercèrent ces pouvoirs judiciaires en compléments des jugements rendus par les conseils de guerre. Leur action fut réglementée par l'ordonnance du 8 mai 1832 sur le service des armées en campagne et par le décret du 1er mars 1854 sur l'organisation et le service de la gendarmerie. Le code de justice militaire du 4 août 1857, viendra donner aux tribunaux prévôtaux, une existence légale.
Avec quelques variantes, apportées par tous les gouvernements qui se succéderont, mais toujours dans le but de faire régner l'ordre et la discipline au sein de la troupe et protéger les populations des pays contre tout acte de violence ou de pillage, l'instruction du 18 avril 1890 précisait avec méticulosité le rôle, la méthodologie et le cadre juridique dans lequel devaient se dérouler les jugements prévôtaux. Elle instaurait un troisième degré dans la hiérarchie prévôtale. Désormais, le commandant supérieur de la gendarmerie du quartier général d'une armée recevait le titre de grand prévôt, celui du quartier général d'un corps d'armée était appelé prévôt et les commandants des forces publiques affectées aux unités inférieures prenaient tous le titre de commandant de la force publique suivi de la désignation de l'unité à laquelle ils étaient attachés.
Cette instruction énonçait la double mission judiciaire dévolue à la gendarmerie aux armées.
Première mission
Elle consistait, conformément au code de justice militaire élaboré et voté par le parlement le 8 mai 1857 puis promulgué le 9 juin de la même année, de rassembler les preuves et témoignages à l'encontre de tous les individus ayant commis un crime ou un délit passible du tribunal militaire et de le livrer aux autorités militaires pour y être jugé, notamment tout « traîneur qui se livrait à la maraude ou au pillage». L'enquête devait être conduite par un officier de police judiciaire (OPJ) qui pouvait être militaire, parmi lesquels étaient compris les officiers, sous-officiers et commandants de brigade de gendarmerie (un simple gendarme qui exerçait un commandement provisoire ou intérimaire était considéré être un commandant de brigade et à ce titre OPJ).
Seconde mission
La gendarmerie pouvait constituer un tribunal d'exception appelé prévôté qui permettait de décharger les conseils de guerre en jugeant immédiatement et sans appel tout le personnel flottant attaché aux armées. Dans ce cas l'enquête était exclusivement du ressort des officiers de gendarmerie. (Grand prévôt, prévôts, capitaines-vaguemestres, commandants des forces publiques). La juridiction prévôtale commençait dès que l'armée opérait sur le territoire étranger. Elle s'exerçait sur tout le territoire occupé par les troupes.
Les prévôtés avaient juridiction sur :
Les prévôtés pouvaient juger et prononcer des peines pour :
Il est à noter que les individus employés, à quelque titre que ce soit, dans les états-majors ou dans les administrations et services qui dépendaient de l'armée, n'étaient justiciables que des conseils de guerre (note 1) (ex. secrétaires, interprète...etc).
Ces tribunaux étaient alors constitués d'un officier de gendarmerie assisté d'un greffier choisi parmi les sous-officiers et brigadiers de gendarmerie qui devaient prêter serment de bien et fidèlement remplir leurs fonctions. Ces tribunaux s'établissaient n'importe où, même dans un champ du moment qu'il y avait un délinquant à juger.
Outre sa mission judiciaire, la prévôté devait veiller à ce que les voies de communication ne soient pas encombrées, elle était chargée d'interpeller les militaires s'éloignant du champ de bataille, les déserteurs, de diriger les blessés vers les postes sanitaires, de protéger les blessés et prisonniers de guerre, de s'opposer au pillage, au dépouillement des morts. Après les combats, c'est elle qui recherchait les blessés des deux armées et leur assurer les soins nécessaires, faisait enterrer les morts après constatation de leur identité et faisait récupérer les armes et munitions abandonnées.
Succédant au décret du 1er mars 1854, le décret organique du 20 mai 1903 permit une nouvelle fois de réunir dans un seul texte l'ensemble des dispositions relatives à l'organisation et aux services de la gendarmerie. Son service aux armées y fut définit comme faisant partie des ses missions fondamentales et fut d'ailleurs précisé dans son titre préliminaire en ces termes : « La gendarmerie est une force instituée pour veiller à la sûreté publique et pour assurer le maintien de l'ordre et l'exécution des lois... Son action s'exerce dans toute l'étendue du territoire, quel qu'il soit, ainsi qu'aux armées ».
Note 1 : Le Code de justice militaire du 9 mars 1928 remplacera l'appellation «conseil de guerre» par celle de «tribunal militaire».
Du tribunal de la Connétablie, qui jugeait les infractions militaires, à celui de la prévôté créé pour juger les « excès,crimes et oppressions » commis par les militaires envers les populations, complétés par les conseils de guerre chargés de juger les manquements à la discipline et des différends entre militaires, le législateur n'a eu de cesse de faire converger le code de justice militaire et le Code pénal. D'autres notions, dues à l'évolution du droit international et du droit des conflits armés introduiront des différenciations qui amèneront le législateur à redéfinir l'organisation des prévôtés ainsi que ses missions et son service.
S'appuyant sur le code de procédure pénale, le code de justice militaire, la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires et le décret de la même année portant organisation générale de la gendarmerie nationale, la prévôté est toujours défini comme étant « un service particulier de la gendarmerie nationale institué auprès des forces armées françaises stationnées ou en opération hors du territoire national ». Les missions des gendarmes, toujours appelés prévôt, sont de deux ordres :
Les forces prévôtales déplacées étaient sous l'autorité d'un officier supérieur auquel on donnait le nom de commandant de la prévôté. Cet officier et tous les militaires de la gendarmerie affectés dans les détachements prévôtaux, qu'ils soient permanents ou de circonstances, étaient administrés par le commandement de la gendarmerie d'outre-mer (CGOM). Avec le décret du 19 mars 2013 (1) créant un commandement de la gendarmerie prévôtale spécifique, l'ensemble des formations prévôtales sont désormais placées sous le commandement d’officiers qui relèvent de l’officier chargé du commandement de la gendarmerie prévôtale. Cette création répond à une nécessaire adaptation aux particularités et à la diversité des contentieux survenant sur les théâtres d’opérations extérieures. Ce décret améliore également le suivi des affaires pénales militaires au sein de la prévôté et les éventuelles poursuites d’enquêtes, en donnant à la brigade de recherches prévôtale une compétence judiciaire sur le territoire national.
Pour identifier ce commandement spécifique sur le plan opérationnel et symbolique, la direction générale de la gendarmerie a décidé de créer un insigne de tradition (ci-contre) et la dotation d'un fanion. Ce nouvel écu est composé du symbole interarmées doré mêlant une épée pointe en l'air, deux ancres et un vol. Le rôle de police judiciaire étant évoqué par la présence des balanciers dorés. Le fond aux couleurs traditionnelles bleu et noir et la grenade argentée de la gendarmerie nationale parachèvent l'insigne et permettent une identification immédiate des personnels sur le terrain.
« Parti d'azur et de sable, au symbole interarmées d'or accompagné à dextre et à senestre de balanciers du même ; chargeant en cœur une grenade d'argent ».
Conformément au code de justice militaire, les gendarmes, toujours appelés prévôt, exécutent aux armées, des missions de police judiciaire et de police générale. Leur action était jusqu'à présent, placée sous le contrôle des magistrats du tribunal aux armées de Paris (TAAP). Ce tribunal, qui a succédé au tribunal des forces armées (TFA) de Paris, a été créé par une loi du 10 novembre 1999. Il applique les règles de la procédure pénale de droit commun, à deux différences près : aucune poursuite ne peut-être engagée, sauf en cas de crime ou délit flagrant, sans l’avis consultatif du ministre de la Défense et les victimes ne peuvent citer directement l’auteur d’un fait devant le tribunal.
Les fonctions de juge sont exercées par des magistrats appartenant à l’ordre judiciaire, désignés par décret tous les ans. Ils ne sont pas affectés à titre permanent contrairement au procureur, au substitut et au juge d’instruction qui sont détachés par le ministère de la Justice pour trois ans au ministère de la Défense. Le greffe est composé de militaires de carrière, recrutés par concours spécial parmi les sous-officiers des trois armées.
Les prévôts peuvent soit d'initiative ou sur instruction de ces magistrats, réaliser des enquêtes judiciaires à l'occasion d'infractions commises par les militaires, mais aussi contre les forces françaises. Dans ce cas et selon les accords internationaux, les infractions dans lesquelles sont impliquées les populations locales seront instruites suivant les règles de procédure et de droit local sans pour autant exempter les militaires français d'éventuelles poursuites suivant les lois et règlements de notre pays.
Suivant l'ordonnance du 1er juin 2006(2), portant refonte du code de justice militaire, les tribunaux prévôtaux pouvaient être établis en temps de guerre, sur le territoire de la République ; en tout temps lorsque de grandes unités, formations ou détachement des armées stationnaient ou opéraient hors du territoire de la République. Le ministre de la Défense fixait alors l'organisation des prévôtés et leurs conditions d'établissement.
La modification du 12 mai 2007(3) du code de justice militaire apporte les changements suivants :
- l'établissement des tribunaux prévôtaux appartient au ministre de la Défense,
- Ils sont établis hors du territoire de la République si des tribunaux militaires aux armées sont établis.
Le tribunal prévôtal est alors composé d'un magistrat mobilisé en qualité d'assimilé spécial du service de justice militaire et d'un greffier appartenant au tribunal militaire aux armées auquel est attaché le tribunal prévôtal.
Comme leurs prédécesseurs, les tribunaux prévôtaux connaissent des infractions de police autres que les contraventions de 5e classe, qui sont commises par toute personne justiciable des juridictions des forces armées. Ils sont compétents pour les infractions aux règlements relatifs à la discipline commises par les justiciables non militaires et par les prisonniers de guerre qui ne sont pas officiers.
L'ignominie de la guerre se suffisant bien à elle-même, la dignité humaine ne pouvait accepter qu'elle soit encore grandie par quelques laideurs d'actes indignes. Pour en protéger les populations, ces laideurs furent toujours combattues. Ainsi, avant la création par Charles VII d'une armée de métier, les rois devaient bien souvent combattre les troupes licenciées qui se regroupaient après la bataille et piller le pays pour leur propre compte. Sous les règnes suivants, s'ajouta à cette lutte, la correction des gens d'armes malfaisants soldés par la couronne. Le grand prévôt de la connétablie et les prévôts des maréchaux de France ne suffisant plus pour assumer cette mission en temps de paix comme en temps de guerre, Louis XII et François Ier commencèrent à installer dans les provinces des officiers subsidiaires chargés de les seconder avec leurs archers. La nécessité de ces créations s'étant révélée évidente, tous les rois et leurs successeurs eurent la sage précaution de maintenir et protéger de leur bienveillance cette troupe nommée maréchaussée si utile aux populations.
Supprimée à la révolution, cette maréchaussée devait renaître dépouillée de sa mission judiciaire en un corps que l'on nomma gendarmerie nationale. Les législateurs de ce temps et ceux qui leur ont succédés, convaincus que les actes indignes commis par leurs troupes ne devaient pas rester impunis, imitèrent les rois dans leurs soucis de protéger au mieux les populations et confièrent à la gendarmerie la police des troupes qu'elle assure toujours de nos jours.
(1) Décret no 2013-231 du 19 mars 2013 relatif au commandement de la gendarmerie prévôtale et à la brigade de recherches prévôtales
(2) Ordonnance n° 2006-637 du 1er juin 2006 portant refonte du code de justice militaire (partie législative)
(3) Ordonnance du 1er juin 2006 portant refonte du code de justice militaire (partie législative) Version en vigueur au 12 mai 2007